C'était dans le train qui nous ramenait de Pau où venait d'avoir lieu du Salon du livre où la littérature noire était l'invitée d'honneur. J'avais retrouvé mon vieil ami Hervé Le Corre. Dans son compartiment, un type que je ne connaissais pas et qui racontait avec un accent à couper au couteau les histoires les plus atroces et salaces qu'il m'avait été donné d'entrendre depuis longtemps. Le voyage jusqu'à Bordeaux où nous descendions, Hervé et moi, avait été des plus joyeux. Ce fut ma seule rencontre avec Cesare Battisti. Je ne savais rien de lui, Le Corre se chargea de me mettre au courant - réfugié italien recherché par la police de son pays pour sa participation à la lutte armée contre le régime, accueilli par la France et protégé par sa parole, en l'occurrence celle de son président, F. Mitterand -, bien intégré et devenu un écrivain de polards aux intrigues noires sur fond de luttes politiques.
Quand la parole de F.M. fut remise en question, et que Battisti fut arrêté, j'ai trouvé normal de faire partie du comité de soutien qui dénonçait la trahison de la parole donnée, l'abandon de cette tradition de terre d'accueil dont la France pouvait s'enorgueillir, les risques que couraient tous les autres italiens (l'avenir devait se charger de confirmer les craintes qui étaient les nôtres, à cet égard - les reconduites à la frontière ou dans leur pays d'origine d'hommes et de femmes qui croyaient avoir trouvé en France la protection dont ils avaient besoin et qu'on renvoie sans étât d'âme entre les mains de leurs bourreaux sont devenues tristement quotidiennes) tout cela pour faire une gentillesse à Berlusconi..., . A Paris, le combat était mené, avec la détermination qu'on sait, par Fred Vargas et toute la corporation des polareux. Je ne reviens pas sur les péripéties de l'affaire et sur la décision prise par Cesare de s'enfuir pour éviter de retouner en Italie où les jeux, de toute manière, étaient faits en ce qui le concernait. Battisti a lui-même raconté sa cavale et les tourments qui étaient les siens d'abandonner ses enfants, la femme qu'il aimait, les amis qu'il s'était faits en France, pour redevenir un fugitif.
Et puis il y eut l'annonce de son arrestation au Brésil, son retour en prison. Comme il n'y avait pas de convention d'extradition entre le Brésil et l'Italie, on pouvait encore garder espoir. Les mois passaient, les comités de soutien s'assoupissaient - seules quelques irréductibles, au premier rang desquels, Fred Vargas, n'abandonnaient pas Battisti. Il est vrai qu'il y avait d'autres combats à mener et qu'on s'y épuisait parfois ; il est vrai aussi que manquait une analyse d'ensemble de l'effrayante régression en matière de libertés que connaissaient les pays du libéralisme réel, en ce début de XXI° siècle.
Et voici qu'une dépêche d'agence nous apprend que les pourparlers entre le Brésil de Lula et l'Italie de Berlusconi sont sur le point d'aboutir et que Battisti selon toute vraisemblance sera rapidement extradé avec de grandes chances de finir sa vie en prison pour des crimes dont il s'affirme innocent. Et je n'ai pas vu, pas vu encore, la manifestation de l'indignation de ceux qui, jadis, l'avaient défendu. Il est temps de refaire entendre notre voix et de nous remobiliser.