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Billet de blog 4 mars 2014

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Retour à Péguy

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                       En cette année du centenaire de la mort de Charles Péguy, Benoît Chantre nous donne avec Péguy, point final, aux éditions du Félin, un livre exigeant et éclairant sur cet écrivain injustement méconnu, en dépit de la gloire posthume qui fut la sienne. Les clés de lecture proposées par Benoît Chantre passent par Pascal dont la théorie des trois ordres se trouve convoquée pour expliquer le passage de l'histoire positiviste (ordre des corps) à l'histoire éthico-juridique (ordre des esprits) et de celle-ci à l'éternité christique (ordre de la charité) ; passent aussi par Bergson - qui lui doit plus qu'il n'y paraît - dont il conserve la théorie de la durée par opposition à une conception spatialisée  du temps et celle de l'intuition qui ouvre sur la puissance créatrice même.

                                        "L'écriture démocratique de l'histoire constitue le projet, scientifique et poétique que Péguy formule dès Notre Patrie, publiée aux Cahiers de la Quinzaine, le 22 octobre 1905."

                                         Péguy n'a pas de mots trop durs pour les historiens positivistes qui dominent en ce début de XXème siècle. Et cela m'a amusé de trouver sur ce thème une proximité avec cet "affreux bonhomme" de Guillemin auquel les admirateurs n'ont jamais pardonné d'avoir mis le nez dans les affaires (financières, éditoriales et privées) de leur grand homme. A écouter les conférences de Guillemin sur Péguy, je ne vois pas ce qui a pu déclencher une telle animosité, le mot est faible, contre lui (cf. sur ce point les pages excellentes de Patrick Berthier dans 60 ans de travail, Henri Guillemin, bibliographie (cahiers Henri Guillemin n°1, utovie) qui recensent quelques attaques au vitriol des péguystes-) Sans doute, lui a-t-on reproché de dire que Péguy ayant échoué dans toutes les ambitions qui étaient les siennes, était un raté. Le terme est cruel, il est vrai. Mais il semble contrebalancé par les déclarations tout aussi nombreuses de Guillemin où il affirme sa sympathie poue Péguy, un type auquel il aurait aimé serrer la main : il ne met pas en doute la sincérité de sa conversion et lui sait gré de n'avoir jamais, en dépit de quelques contorsions, renié la République ni le dreyfusisme.

                                          Guillemin n'aimait pas davantage le 'positivisme' dont on l'accusait, à tort, selon lui. Péguy et Guillemin ont en commun de vouloir une histoire qui s'éloigne de l'histoire officielle qui n'a pour tâche que de banaliser la force inauguratrice de l'événement. Une histoire "démocratique", mais sans doute, l'un et l'autre n'ont-ils pas la même conception du 'peuple' : il est le grand vaincu de l'histoire officielle que Guillemin démonte pour redonner au peuple et à ses défenseurs leur véritable place politique. Pour Péguy, le peuple est une entité mystique qui, dès l'origine' innerve l'histoire de la nation..

                                         Je ne sais pas si ceux qui reprochent à Péguy son nationalisme des dernières années, ceux qui lui reprochent d'avoir brûlé Jaurès après l'avoir adoré, d'avoir écrit quelques énormités sur Marc Sangnier, seront convaincus par la thèse de Benoît Chantre qui y voit tout au contraire d'un militarisme revanchard le point d'échappée assumé vers la source d'où tout peut recommencer. Point de rencontre entre Notre Patrie et Notre Père, en quelque sorte. Ce qui est au coeur de son argumentation, c'est la fonction même de la répétition si caractéristique du style dePéguy (j'y suis, pour ma part, assez rétif) qui est la tentative de dépasser par l'écriture la conception officielle de l'histoire positiviste (un progressisme assez plat que les faits dénoncent trop) pour entrer dans la dimension profondément créatrice du mouvement, qui ne peut se ressourcer qu'à répéter cela même dont il émane. Charles Coutel, dans une petite vie de Charles Péguy parue chez Desclée de Brouwer, parle de "l'énergétique morale" de Péguy. Ce qu'il oppose à l'"orléanisme" dont nous ne cessons de souffrir et qui est la trahison, par les héritiers, de la grandeur des commencements ; c'est cet orléanisme qui est responsable de la dégradation de la mystique en politique. Contre cette démission, et c'est bien ce que Péguy, à tort ou à raison, reproche à Jaurès, lire ou relire Péguy peut se révéler, dans le contexte qui est le nôtre plus qu'utile.

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