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Billet de blog 4 avril 2024

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Les Passions d'Henri Guillemin,

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                    Ce recueil des chroniques qu'Henri Guillemin avait données au journal neuchâtelois L'Express, entre 1987 et 1992, a été publié par les Editions A la Baconnière, en 1994. L'ouvrage étant devenu difficile d'accès, les Editions Utovie ont eu l'excellente idée d'en donner une version informatique, enrichie par les notes d'une érudition précise de Patrick Berthier qui permettent d'en ressaisir le contexte. (cf https://www.calameo.com/read/007215864bf3d1c422e54....) Ce livre est comme le pendant des Chroniques du Caire que Guillemin, dans sa période égyptienne, avait écrites pour "La Bourse égyptienne", entre 1937 et 1939. Et l'on est toujours admiratif devant la diversité des lectures de Guillemin.

                    Certes, il lit des bouquins d'histoire littéraire sur les écrivains qu'il a lui-même étudiés ; des bouquins d'histoire politique sur les XIX et XXèmes siècles qu'il connaît bien. Mais il lit aussi des études de sociologie comme le livre de Sirinelli, Génération intellectuelle, sur les normaliens dans l'entre-deux-guerres ; ou le livre de René Dumont, Un monde intolérable, qui l'alerte sur la pollution croissante et dévastatrice, l'avancée des déserts, la disparition annoncée des forêts tropicales. Mais il se lance aussi dans des livres plus scientifiques, comme La statue intérieure de François Jacob dont il loue à juste titre la hauteur des idées. Il se moque gentiment de l'étalage de savanteries du dernier livre de Jean Bernard qu'il trouve bien brave de dire du bien de tout le monde, même des gens qui ne pensent pas comme lui. En revanche, il encense Jean-Claude Barreau, ce prêtre défroqué, mais par amour, dit Guillemin (et l'on se souvient de ces lettres échangées avec Mauriac dans lesquelles il s'étonne de cette fureur qui prend les prêtres de vouloir se marier, comme s'ils n'avaient pas autre chose de mieux à faire...) La raison en est que Barreau porte sur Changeux ( Guillemin n'a guère aimé L'homme neuronal) un jugement qui le remplit de joie. Changeux, dit Barreau, est à ce point obnubilé par ses neurones où il pense avoir trouvé l'explication de tout l'homme et tellement sûr de son fait "qu'il serait capable de passer, dans un couloir, à côté d'un éléphant." C'est sans doute rapide comme critique mais elle n'est pas fausse et met Guillemin en joie.

                      Il se réjouit qu'un autre dézingue un de ces illustres qu'il ne porte pas dans son coeur - ainsi Jacques Bonhomme qui n'épargne pas Malraux dans le livre qu'il lui consacre. Bon, il admire Finkielkraut et sa Défaite de la pensée - on peut se tromper. En revanche, il dit beaucoup de bien de Francis Jeanson, bien oublié aujourd'hui. Et il sait reconnaître la valeur de Michel de Certeau (La faiblesse de croire) même s'il déplore malgré tout qu'il se soit "laissé impressionner - un temps - par les hussards, pandours (et grâce à Berthier on apprend que le terme désigne des corps francs hongrois, jadis célèbres pour leurs ex ès de langage et de comportement).

                     On trouvera, ici ou là, des confidences qui éclairent tel ou tel point de la vie politique française - Guillemin n'oublie pas ses anciens ambassadeurs - ou de sa vie personnelle. Un beau texte aussi consacré à François Mauriac, "un été de cauchemar" (1940). Bref un Guillemin comme on l'aime qui a, sur la vieillesse, à partir d'une remarque de Hugo sur ce qui attend le grand âge - le choix entre rester un lion ou n'être plus qu'un toutou, cette phrase qui en dit long :"Je n'ai rien d'un "lion", mais je ne serai jamais non plus un "toutou".

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