Ce n'était pas partie gagnée que d'organiser un colloque autour d'Henri Guillemin et de la Révolution française, un samedi d'octobre - la veille encore, nous étions rongés d'angoisse, même si nous savions que s'y retrouveraient des intervenants de grande qualité - il y avait eu, depuis plus d'un an, tant d'obstacles à surmonter, tant de mauvaises volontés à contourner, tant de bonnes volontés à fédérer, de travail, de bouquins à lire, de mails à envoyer, de coups de téléphone à donner que nous n'en menions pas large. Le public serait-il au rendez-vous ? Il faisait tellement beau au Luxembourg, les pigeons dodus comme des sénateurs y jouaient les importants, les feuilles craquantes sous les pieds exhalaient une odeur de noix tenace, les chrisanthèmes des massifs et des vasques n'y paraissaient pas mortuaires - pourquoi aller s'enfermer de 9 heures à 18 heures dans une salle où la lumière du jour peinait à percer ?
Et pourtant ! Plus de 150 personnes, dans la salle des Actes de l'ICP, je n'en croyais pas mes yeux quand je suis arrivé. 150 personnes, parmi lesquelles de nombreux jeunes, qui sont restées jusqu'au soir attentives et passionnées par les interventions de Florence Gauthier, de Yannick Bosc, le matin et l'après-midi d'Olivier Blanc, de Marc Belissa et de Serge Deruette - ils parlaient en historiens et leur apport confirmaient ou complétaient certaines des intuitions fondamentales de Guillemin sur les enjeux des combats politiques au cours de ce moment Robespierre qui servait de fil conducteur à la journée. Etienne Chouard, avec la ferveur qu'on lui connait, a raconté sa rencontre avec le Guillemin conférencier, comment il était tombé sous le charme de ce causeur incomparable et il a retrouvé les thèmes qui lui sont chers des insuffisances de la démocratie représentative que Guillemin avait bien anticipés. Patrick Berthier et moi-même encadrions ces interventions en axant notre propos, Berthier sur la genèse du livre Robespierre, politique et mystique, grâce à la correspondance entretenue pendant de longues année entre Guillemin, catho robespierriste, et Catherine Lieutenant, robespierriste athée ; votre serviteur, en présentant les Conférences inédites de Guillemin sur les deux Révolutions, prononcées en 1967 à la RTB, qui montrent que l'intérêt de Guillemin pour 1789 était ancien et qu'il en avait bien saisi les enjeux.
Une table ronde, à laquelle participait Edwy Plenel, a souligné le rôle d'"éveilleur" que Guillemin a joué, comment son regard décalé sur l'Histoire politique du 19° siècle a percé à jour les mensonges intéressés d'une certaine histoire officielle et de ses images d'Epinal, comment le don qui était le sien de "flairer", sous les discours lénifiants et convenus, une stratégie qui visait à disqualifier ceux qui avaient voulu ébranler les fondements de ce fameux ordre établi, qui n'est qu'un désordre organisé au bénéfice des puissants, des Thermidoriens à Onfray, avait touché juste. Pas traditionnel, certes, Guillemin, dans sa manière de travailler ; il lui arrive de n'avoir pas lu des bouquins clés sur la période qu'il étudie, mais ceux qu'il a lus et que n'ont pas forcément lus les 'spécialistes', il les lit bien - c'est-à-dire qu'il ne s'en laisse pas compter. A plusieurs reprises, les intervenants ont souligné combien Guillemin nous manquait en cette période de consensus mou, d'abrutissement désespérant - quand il s'intéresse à l'histoire qui lui est immédiatement contemporaine, Guillemin donne un exemple d'analyse journalistique qui est un modèle du genre (c'est le cas de la vérité sur l'affaire Pétain - en 1945 - et de La guerre du Golfe (1991), ces deux livres publiés chez Utovie qui réédite tous les titres de Guillemin). Et combien il est nécessaire de le lire ou de le relire pour puiser en lui l'indignation qui était la sienne contre l'injustice, son souci de vérité et la puissance décapante de ses partis-pris
Ceux qui n'ont pas pu venir devraient pouvoir avoir accès, sur Mediapart, à l'enregistrement audio des intervants. Viendront, après, un e-book et la publication des actes. Ils n'auront donc pas tout perdu ! Et, nous commençons, de notre côté, à réfléchir à un autre colloque, en 2015, qui pourrait porter sur l'histoire de la Commune, tant nous avions de peine , samedi soir, à nous séparer ! Du pain sur la planche, donc !