Je ne pense pas être le seul à attendre, depuis longtemps et même après le succès du Femina - non pas le bouquin quasi annuel et variable, selon les crus - de Dominique Noguez, mais le livre, le bouquin, le grand, le vrai, celui qui va plus loin même que ce à quoi on s'attendait. Et c'est chose faite. Une année qui commence bien est un récit superbe, le récit d'un amour fou, d'un amour tragique parce que dès le début il sait qu'il ne sera pas réciproque, d'un amour absolu qui supporte toutes les humiliations, qui se nourrit des bribes de tendresses, des lambeaux de sensualité qui lui sont consentis, d'un amour enfantin comme tous les premiers amours, d'un amour cultivé, parce que la musique, la littérature, la poésie en font partie, intrinséquement, contribuent à son épanouissement, à sa tonalité propre.
Il y a, chez Noguez, la volonté douloureuse de ne rien laisser dans l'ombre, d'aller au-delà d'une pudeur qui lui est consubstantielle, vieil héritage d'une éducation judéo-chrétienne qui marque à jamais ceux qui l'ont reçue, lors même qu'ils se sont éloignés de toute croyance. Mais, jamais aucune complaisance, jamais aucune obscénité - tout passe dans le flamboiement de la passion et dans la maîtrise de l'écriture. Car c'est peu de dire que la langue est belle et qu'elle tient ce récit comme elle a tenu Noguez durant l'épreuve de cet amour qui se joue de lui - très vite, il a su qu'il écrirait le livre de cette rencontre, pour n'en rien perdre, sans doute, mais aussi pour se sauver lui-même.
On pense inévitablement - les références à Proust sont nombreuses - à Un amour de Swann. Et Noguez tient le choc de la comparaison - elle n'est pas de flagornerie. La peinture du microcosme germano-pratin, de ce bocal où s'agitent tant d'ambitions, de mesquineries, de faux derches et de vrais escrocs, dans sa cruauté, évoque celle que Proust fait du monde des Guermantes. La découverte progressive par Swann qu'Odette finalement ne valait pas l'amour qu'il lui a voué rencontre, ici, le jugement que Houellebecq porte sur l'etre aimé par le narrateur, 'il ne te mérite pas'...Les affres de la jalousie, le côtoiement perpétuel du risque de délire sont les mêmes, ils sont simplement compliqués chez Noguez - époque oblige - par tous les moyens dits modernes de communication - téléphone fixe ou mobile, répondeur, fax, messages dont on ne sait jamais à qui ils s'adressent ni dans quelle intention ils ont été déposés...
Je m'aperçois que je n'ai pas dit que l'amour dont Noguez nous parle ici est l'amour qu'il éprouve pour un garço, un beau gosse surfeur, joueur, financier, hâbleur, mythomane, archange et démon, gamin et roué comme un vieux débauché, cruel et colérique. Sans doute parce que, en dépit des scrupules de Noguez, et de justifications que je trouve inutiles cela ne change rien à l'affaire et la peinture qu'il en fait touche parce qu'elle dépasse de beaucoup la simple question du genre - c'est un beau récit, cela seul compte.
Dominique NOGUEZ, Flammarion, 20 euros