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Billet de blog 11 mai 2023

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Alain Badiou, Mémoires d'outre-politique (1937-1985), éditions Flammarion

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                                  La lecture de ce premier tome des mémoires de Badiou est passionnante à plus d'un titre (même si son titre lui-même est évidemment chateaubriandesque à l'excès). D'abord parce qu'il dresse une fresque de son évolution politique depuis ses premiers engagements au PS, puis au PSU avant la révélation du maoïsme ; il faut dire que la période des années 65/75 est complexe, que l'on peut se perdre dans la galaxie des forces de "gauche", qu'elles aspirent au pouvoir ou qu'elles refusent d'entrer dans le jeu du "parlementaro-capitalisme, comme le dit Badiou - les scissions, les anathèmes sont multiples et pas la seule spécialité des trostkystes. Badiou règle le problème en refusant le terme même de groupuscule et en soulignant, avec raison l'anarchie des commencements. Mais l'on risque de se perdre dans les sigles : le PCMLF, l'UJCmL, la GP, l'UCFml...et j'en passe.

                                  D'où cette obsession très vite apparue chez Badiou de l'organisation. A condition, bien sûr, qu'il en soit le chef. Il y a, chez lui, ce qu'on pourrait appeler, si l'on était méchant, un complexe de supériorité né de l'excellence de son parcours scolaire et universitaire - être toujours le premier est, pour lui, une sorte de destin dont il s'accommode finalement, avec humour parfois : il est fait pour "présider", pour "diriger" et être le meilleur partout - dans la politique, dans le théâtre, dans le roman, dans la philosophie, bien sûr. Il y a, à cela, des raisons sociologiques (le père de Badiou sera, après la Guerre, maire de Toulouse) mais aussi psychologiques (les relations pour le moins difficiles qu'il a avec sa mère relèveraient d'une bonne psychanalyse, mais Badiou confie que s'il encourage plein de gens à aller se faire analyser, il n' est pas question, pour lui, de s'allonger sur un divan).

                                  Le moment clé de son histoire est sa rencontre avec la pensée de Mao - cette rencontre entraîne une véritable conversion de Badiou, ce terme religieux peut surprendre et pourtant Badiou l'utilise lui-même - "réelle conversion idéologique", "l'illumination communiste, mon chemin de Damas", "bouleversement bien réel". Et se met en place la structure de sa pensée : anti-parlementarisme, anti-syndicalisme,  critique des partis socio-démocrates ("variantes d'ajustement des séquences les plus réactives du capitalisme moderne", il a raison, non ?), critique du révisionnisme du PCF (et la triste comédie de l'abandon de toute référence à la dictature du prolétariat par Marchais) critique du gauchisme (et l'inévitable renégation de tant de leurs membres pressés d'aller bouffer à la table des puissants - et il n'a pas tort): c'est la nouvelle naissance de Badiou comme Sujet communiste, comme clone de Mao. J'ai longtemps cru que les références à Mao dans les livres de ces dernières années relevaient de ce que j'appelais une sorte d'induration - elles n'avaient pas d'influence sur le contenu même du livre dont j'admirais l'intelligence, la perspicacité. Et j'avoue être étonné de la fidélité à la pensée de Mao, grand philosophe, grand homme politique, grand poète et dont je peine à comprendre comment on peut la prendre au sérieux. Quand la citation d'une pensée de Mao atteint la platitude de "on a raison de se révolter contre les réactionnaires", (j'en passe et de meilleures ou de plus plates encore) je demeure, pour ma part pantois.

                                   Et pourtant, le diagnostic de Badiou sur la situation politique française, sur la politique internationale, sur le fiasco et de l'URSS et sur celui de la Chine est imparable. Il a certes des provisions de poil à gratter qui agaceront certain(e)s - sur "le culte apolitique de la protestation", sur les Gilets jaunes qu'il renvoie à leur poujadisme, sur les féministes ("Nous revenons, lentement mais sûrement, à une misère sexuelle de type nouveau, dont le contrôle, en fait de clergé, est directement assuré par des réseaux (a)sociaux, par la police, par la justice séculière et par des organisations féministes dont le seul mot d'ordre, symétrique de celui des puritains dans l'ancienne Amérique, est :"Dénoncez le mâle, dénoncez-le, il en restera toujours quelque chose?" Je lui laisse la responsabilité de ces formules.

                                   Bien sûr, c'est d'outre politique qu'il s'agit, ici. C'est-à-dire d'une tentative de dépasser les règles qui régissent la vie politique et qu'acceptent tous ceux qui détiennent le pouvoir (et pour cause) et tous ceux qui aspirent à le détenir (la fameuse "alternance"), de dénoncer ce qui se cache (de plus en plus mal d'ailleurs) derrière la "démocratie". On eut rester sceptique sur le bilan que Badiou peut nous présenter - aller aux masses se révèle au-delà du slogan que l'on peut comprendre, puisqu'il s'agit véritablement de penser et d'agir à contre-courant comme hyperbolisation des quelques dizaines (centaines, peut-être) de personnes engagées et persuadées d'être dans le Vrai. Reste l'espérance que l' étape du communisme se réalisera - marxisme, léninisme, maoïsme...ayant échoué - avec le temps ! Le malheur est qu'il y a urgence.

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