Il est toujours aventureux de s'aventurer sur un terrain qu'on maîtrise mal ou de faire une confiance aveugle à des "plumes" pas toujours aussi cultivées qu'on le souhaiterait. Manuel Valls vient d'en faire la démonstration lors de sa visite , il y a quelques jours, à Forbach et qui avait pour but de contrer la montée annoncée du FN dans cette région et dans d'autres. - Je laisse à des commentateurs plus avertis le soin de d'analyser cette 'stratégie', le choix du 'stratège' et les chances de succès...- et je m'arrête sur la fière affirmation, que l'on soupçonne accompagnée d'un mouvement viril du menton en galoche : "Historiquement, c'est la gauche qui a inventé la nation en 1789". Et pan !
Le malheur est que c'est faux. Le 17 juin 1789, devant le refus des représentants de la noblesse et du haut clergé de se réunir avec les représentants du Tiers-Etat, ceux-ci, par un véritable coup de force, se proclament "Assemblée nationale", se présentent comme les représentants de l'ensemble de la nation. Henri Guillemin, dans 1789-1792, 1792-1794, les deux Révolutions françaises, recueil de conférences à paraître chez Utovie et en vente au Colloque Henri Guillemin du 26 octobre, commente cet événement : "Sieyès avait lancé la fameuse phrase :"qu'est-ce que le Tiers-Etat? Tout. Qu'est-ce qu'il a été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien.Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose."C'est là que je veux souligner l'imposture, la fourberie de Sieyès. Car il faut être bien clair, quand Sieyès parle du Tiers, il ne parle pas des 24 millions et demi de paysans, artisans, ouvriers sur 25 millions de français. Il parle de la toute petite élite ou de l'écume, si vous voulez du Tiers-Etat, qui est représentée par la bourgeoisie possédante. Il proclame que c'est la nation qui parle, que l'Assemblée est bien nationale - mais en vérité c'est la bourgeoisie qui décide de prendre le pouvoir et elle ne veut pas être importunée par le peuple dont le rôle dit rester le même, celui d'esclaves nourriciers et muets."
Voilà qui remet les choses à leur place. Faire de Sieyès ou de Mirabeau, pour ne parler que d'eux, des représentants de la 'gauche' n'a donc historiquement et strictement aucun sens. A moins, à moins que Sieyès, celui que Robespierre appelait "la taupe" parce qu'il était un spécialiste du travail souterrain de sape du mouvement populaire et authentiquement révolutionnaire, ne soit un modèle aux yeux de Manuel Valls. Je n'ose le croire. En tout cas, ce qui est sûr, pour reprendre les termes de Michel Serres c'est que "la génération des décideurs actuels (...) est, probablement, la génération la moins cultivée ou la plus inculte de toute l'histoire de France."