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Billet de blog 11 octobre 2016

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La philosophie de l'histoire de Michel Serres

Le dernier livre de Michel Serres est sans doute l'un des plus aboutis. Tant dans son contenu que dans son écriture. Darwin, Bonaparte et le Samaritain (Le Pommier, 2016, 19 euros) évoque les trois âges par lesquels ont passé, sans qu'ils soient d'ailleurs dépassés ou accomplis, l'Univers et les êtres qui le composent.

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Le dernier livre de Michel Serres est sans doute l'un des plus aboutis. Tant dans son contenu que dans son écriture. Darwin, Bonaparte et le Samaritain (Le Pommier, 2016, 19 euros) évoque les trois âges par lesquels ont passé, sans qu'ils soient d'ailleurs dépassés ou accomplis, l'Univers et les êtres qui le composent. Darwin est celui qui s'est penché sur les origines des pierres, de la faune et de la flore. Bonaparte, celui qui se fit le hérault de la mort. Le Bon Samaritain, celui qui incarne la sollicitude pour l'autre souffrant.

Serres nous livre, ici, sa philosophie de l'histoire, bien différente de celles auxquelles nous sommes habitués, pleines de bruits et de fureurs, tristement anthropocentrées, quand ce n'est pas, d'ailleurs, européocentrées. Une histoire naturelle, au sens plein du terme, qui commence au commencement du Big Bang et, par bifurcations successives ou simultanées, produit la multiplicité de ce qui est, du ciron à la galaxie et, parmi cette multiplicité, la singularité qu'est l'homme.

Michel Serres reprend et approfondit les thèses qu'il avait développées dans Récits d'Humanisme (Le Pommier, 2006). Nous savons maintenant que les sciences dures ont découvert la temporalité de leurs objets respectifs. L'écriture, qui marque traditionnellement l'entrée de l'homme dans l'histoire, n'est pas l'apanage de l'humanité. Tout est codé, depuis le début.  Et tout se joue dans les relations "entre les deux couples, propres aux choses et aux vifs : énergie-entropie et vie-mort."(p.34)

Mais ce qui fait la singularité de l'humanité, c'est justement la néguentropie, c'est-à-dire la possibilité d'opposer à la dureté du réel la douceur de l'esprit. "L'entropie et la mort ne cessent de dévaster, par nature et de nos propres mains, ce paysage à la fois naturel et humain, promis dès lors, à la désertification ; la vie et l'information le cultivent pour le rendre riant et fertile."(p.37)

L'utopie, revisitée mais bien héritée de ces socialistes, français pour la plupart, méprisés par les tenants d'un socialisme scientifique dont on n'a que trop subi la dureté, cette utopie à laquelle nous appelle Michel Serres, celle du nouvel Age où le doux triomphera du dur, n'est pas le délire d'un doux rêveur, mais l'annonce de l'avenir auquel nous devons nous ouvrir.

A-t-on suffisamment reproché à Serres son optimisme béat ? C'était vraiment mal le connaître et croire qu'il vit dans une bulle où les événements du monde ne pénètrent pas. "Je ne suis donc ni sourd ni aveugle aux forces atroces qui, pendant cet âge si court [celui où le doux semble pouvoir, ou devoir, l'emporter, si nous voulons survivre. PR] (...) Si nous combattons ces pugnaces au moyen de leurs propres armes, nous quitterons l'âge [que caractérise globalement le numérique. PR] que nous commençâmes. Nous devons donc trouver des stratégies propres à notre temps et délaisser celles de celui que nous venons de quitter. Secourir, soigner, partager, négocier, dialoguer..."- voilà ce qu'il nous faut faire et qu'une grande majorité des hommes fait, loin des thanatocrates qui nous dirigent.

Mais Michel Serres n'ignore aucun des obstacles qu'il faut contourner pour que s'étende le règne de la Joie. J'aime et admire qu'il ait élaboré cette méditation à l'Hôpital Cochin.

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