Je n'ai pas encore lu de recension de ce dernier livre de Sloterdijk, qui est fait d'un certain nombre d'articles et d'entretiens consacrés aux hypothèses plutôt surprenantes du philosophe. En Allemagne, elles ont suscité des polémiques sévères ; en France, elles ne semblent pas avoir rencontré d'écho - si je ne me trompe. Il faut dire qu'elles sont difficiles à comprendre - est-ce provocation ? ou simple exagération, comme le dit Sloterdijk lui-même, que cette expérience intellectuelle qui consiste à imaginer une tout autre conception de l'impôt que celle communément admise dans nos sociétés, quelle que soit la couleur politique du pouvoir en place. L'impôt est effectivement considéré comme une obligation citoyenne qui correspond aux besoins de l'Etat ; le citoyen est contraint d'acquitter toutes sortes de taxes, d'impôts sur le revenu - sans que jamais lui soit demandé son accord.
Sloterdijk propose de supprimer l'impôt obligatoire pour lui substituer un impôt librement consenti, un impôt non imposé, sous forme de don. Après tout, si chacun de nous était convaincu du bon usage de l'argent que lui prend le Fisc, il n'aurait aucun mal à donner librement une partie de son surplus - pourvu qu'il reçoive en contre-partie une vraie considération ! Curieuse proposition - payer moins d'impôts est une des revendications des néo-libéraux et l'impôt est une manière de redistribution en faveur des moins bien lotis - et Sloterdijk prétend être social-démocrate.! Et tout social-démocrate qu'il est, il peste à l'égard de la culture de l'assistanat avec des accents qui ne déplairaient pas à NS. Après tout, dit-il, l'Etat vide les poches de ceux qui sont les plus performants dans nos sociétés pour reverser cet argent, en partie, aux moins performants. S'il s'agit des mega-riches, il y a erreur dans l'analyse, puisqu'on sait bien que proportionnellement ils paient, quand ils paient, beaucoup moins d'impôts que les autres. En fait, Sloterdijk élargit son analyse jusqu'aux classes moyennes.
Concrètement, comment pourrait-on passer d'une conception à l'autre ? notre philosophe ne se soucie pas trop de considérations concrètes. Mais il insiste sur l'anthropologie pessimiste qui soustend toutes les objections qu'on lui oppose - l'homme est considéré comme foncièrement egoïste, le thème hobbesien de l'homme qui serait un loup pour l'homme, si l'Etat n'existait pas, le thème Kantien de l'insociable sociabilité ont façonné notre manière de voir, durant des siècles, alors que tout un autre aspect de l'homme, sa générosité, le plaisir qu'il peut prendre à donner gratuitement, sa fierté native est laissé de côté. Les maîtres du soupçon n'ont fait qu'enfoncer le clou. Et l'on voudrait pouvoir espérer en un monde meilleur!
On trouvera chez Sloterdijk une critique des sociétés contemporaines, plus précisément à partir de l'exemple allemand; une condamnation de toutes les théories de la post-démocratie, de l'indécence et de l'incompétence de la classe politique qui fera grimacer ceux qui, tout à l'heure, applaudissaient son discours."Quand on pense l'homme petit, on se retrouve tôt ou tard face à une réalité qui correspond à celle que l'on supputait. La pensée basse est un entraînement autogène et autoréalisateur de l'indigence." Sa sévérité n'a rien à envier à celles des critiques les plus virulantes de nos sociétés.
Si on veut en avoir la preuve, il faut lire le très beau texte qu'il consacre à la fin de ce volume à la valeur de l'indignation, comme seule chance de salut, dans un monde où tout est fait pour transformer le citoyen en un consommateur drogué à la connerie télévisuelle. Elle seule est capable de faire mentir ceux qui espéraient nous avoir réduits à l'état "d'autistes avides animés avant tout par la peur et la faim".
Bouquin à lire, même s'il doit en énerver plus d'un. Il n'y a pas tellement, à l'heure actuelle, de textes qi s'essayent à faire bouger notre manière habituelle de penser - ou plutôt de ne plus penser.