En ce début d'année scolaire, il m'arrive de donner des conseils de lecture à des garçons et des filles qui entrent en terminale et qui vont découvrir la philo. La liste que je leur propose est de plus en plus courte - question d'époque : les gros livres effraient comme autrefois les gros mots. Je peux y ajouter, depuis quelques jours, La planète des sages, (chez Dargaud), un délice d'insolence et de drôlerie qui, sous le titre d'encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies, dresse un portrait complètement décalé des philosophes les plus importants.Gardiens du temple s'abstenir ; on n'est pas ici dans la révérence ni la dévotion.
Sur la page de gauche, Jul (Julien Berjeaut, ancien ENS, agrégé d'histoire passé à la BD) met en scène Bergson, Platon ou Epicure dans des saynètes cruelles, ironiques ou totalement loufoques ; sur la page de droite (Charles Pépin, ancien ENS, agrégé de philo), en une trentaine de lignes et un style décomplexé, donne un aperçu de la doctrine ou d'un terme qui lui est communément associé . Le résultat est hilarant ; on pense, bien sûr, à Gotlieb et aux Dingodossiers. Mais il y a plus, quand on voit Descartes réfléchir aux principes de sa méthode et échouer à les appliquer au montage d'une étagère Ikéa ou Saint Augustin, vilain barbu né en Algérie, se faire coffrer par deux flics soucieux d'apporter leur contribution à la politique du chiffre tant prisée de nos ministres de l'Intérieur ou encore Freud s'ennuyer ferme aux propos d'un footballeur "vous savez, moi les transferts...", on est bien au centre d'une pensée mais elle apparaît tout d'un coup fragilisée par sa brusque immersion dans un monde qui n'en a rien à faire.
Une façon radicale de ne pas se prendre au sérieux. D'autant que les textes de Charles Pépin ne sont pas plus respectueux des critères de l'histoire de la philosophie officielle. Pépin semble parfois trouver que son complice va trop loin : ainsi en ce qui concerne Nietzsche ou Heidegger, mais c'est souvent une ruse pour aller plus loin encore. Il a ses préférences : Spinoza, Simone Weil. S'il ne répugne pas aux clichés, il sait aussi les rectifier - ainsi pour le pari abusivementqualifié de pascalien, il montre que ce n'est pas Pascal qui parie,- lui, il a la foi -, mais le libertin qui devrait le faire puisqu'il ne croit qu'en des arguments rationnels.
Après tout, il n'y a pas que les élèves de Terminale qui peuvent lire cet album !