Musset ? Qu'éveille encore ce nom dans la mémoire de nos contemporains ? Une figure du romantisme ? Cheveux longs, teint pâle, yeux légèrement globuleux, barbe soigneusement taillée, une santé fragile, des amours malheureuses, une laison avec George Sand qui se termine mal, à Venise ? Encore quelques vers (« Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots...»), Les Nuits et des pièces au désespoir élégant, On ne badine pas avec l'amour, Les caprices de Marianne. La Confession d'un enfant du siècle ? Mais qui la lit encore ? Un beau livre pourtant.
Nombreux seraient ceux qui s'étonneraient qu'on puisse considérer Musset à l'égal d'un Shakespeare et penser que Lorenzaccio est la plus grande oeuvre dramatique du XIXème siècle. Catherine Marnas en est convaincue et elle donne, au Théâtre National Bordeaux Aquitaine qu'elle dirige, une mise en scène superbe de cette pièce réputée injouable, par Musset lui-même, avec ses 80 personnages, ses décors multiples. Marnas a réduit la voilure : 8 personnages (des acteurs Fregoli formidables, à l'image de Vincent Dissez brûlé par cette flamme intérieure qu'il doit dissimuler derrière sa veulerie apparente), un décor unique (un immense canapé garni de coussins, lieu des débauches et de l'assassinat ultime ; le rouge est la couleur dominante ; derrière un rideau de plastic, quelques silhouettes évoquent la foule) ; elle a réduit la voilure, mais non la force et la violence de ce texte.
L'intrigue est focalisée sur l'essentiel qui est de manière inextricable existentiel et politique. Comment se confronter au mal, qui n'est qu'une figure du pouvoir absolu, comment en explorer tous les abîmes sans s'y perdre totalement et oublier ce qui fut le but même de cette abjection : gagner à ce point la confiance d'Alexandre, ce boucher sadique qui gouverne Florence, en en partageant toutes les turpitudes, qu'il se défasse de cette cotte de mailles qui le rend presque invulnérable et qu'il périsse sous les coups que lui portera Lorenzaccio ? Seul confident de ce projet, Philippe Strozzi, image du sage aux mains pures et qui croit en la valeur du savoir, de la pensée, de l'humanisme - la scène entre lui et Lorenzaccio est un des sommets de la pièce - sombre dans le désespoir après la mort de sa fille et l'arrestation de son fils.
Mais ni le peuple ni les bourgeois florentins ne sont prêts à profiter de la mort du tyran pour restaurer la république. Leur silence de mort répond aux appels de Lorenzaccio. Ils n'ont rien de plus pressé que de se jeter dansles bras d'un nouveau tyran et de condamner Lorenzaccio à mort.
Que valent les hommes ? Et le sacrifice d'un seul d'entre eux suffit-il à les sauver ? La beauté, à Florence, le consumérisme dans notre monde actuel, ne sont destinés qu'à masquer l'abjection du pouvoir et la lâcheté des hommes. L'avertissement que Musset lance après l'échec de 1830 ne cesse de résonner à nos oreilles.