D'abord, il parle. Beaucoup et partout. Et tout le monde médiatique, ou presque, et ceux qui lui sont soumis, corps et âme, sans le savoir, évidemment, louent, encensent, admirent la moindre de ses paroles : comme c'est bien, comme c'est neuf...! Que c'est courageux de dire que...! Que c'est juste d'affirmer que...!, que c'est audacieux...! Quelle intelligence politique ! Il est fort, le bougre, faut bien le reconnaitre...et tous le reconnaissent avec délectation, qu'ils soient de droite ou de gauche. Et cette manière directe de s'exprimer, cette franchise, cette verdeur - comme ça nous change de la langue de bois, de l'hypocrisie qui régnaient jusqu'à présent ! Et puis, petit rire satisfait, ce type en a ..., mais oui, il est couillu et ça nous apporte de l'air frais à côté des contorsions verbales des gonzesses et des pédés (on ne le dit pas comme ça, mais on le pense si fort que ça suinte de tous les discours, de toutes les conversations...)
Et puis, tout d'un coup, le voile tombe. Chacun devient d'une lucidité admirable : mais il dit n'importe quoi, ce mec ; il est vraiment mal élevé; il a un vocabulaire limité et, en plus, grossier; quand on n'est pas d'accord avec lui, il n'argumente pas, il insulte, il vocifère, il éructe. On croyait que les vieux l'aimaient, ils jugent déplacés ses propos et ses comportements de nouveau riche ; on croyait que les éléphants allaient se laisser détourner de leur occupation favorite - faire des crocs-en-jambe à Ségolène Royal - et Rocard refuse de se faire instrumentaliser et Lang
comprend que le vent risque de tourner ; on croyait que le monde entier nous l'enviait et le monde entier se moque de lui et de nous.
Assez ! assez ! disent, avec un unanimisme touchant, les éditorialistes, les chroniqueurs qui, pour un peu, deviendraient insolents et ceux qui continuent imperturbablement à les lire parce qu'ils les croient intelligents. Qu'il se taise! qu'il la boucle ! qu'il la ferme ! qu'on lui donne vite fait quelques leçons de maintien ou de paraitre savoir-vivre, qu'on lui montre l'intérêt, pour lui, de devenir taiseux. C'est qu'il va finir par faire des bêtises.
On en était sûr, il prend une veste électorale. Et il se tait, enfin, ou, du moins, il parle moins. Admirable ! quel stratège ! quel politique ! merci à sa nouvelle infirmière, répète à l'envi la cohorte bruyante des commentateurs de tout poil. Mais zut ! quand il n'est pas le seul à parler, tous ceux qu'il avait jusque là réduits au silence parlent en même temps - c'est à ne plus rien entendre, une vraie cacophonie (en grec, ça veut dire que ce n'est pas joli, joli ce qu'ils se disent). Il va donc reparler, angoissent les mêmes, qu'est-ce qu'il va dire ? et où ? et avec quelle cravate ? et devant quel parterre ? et devant quelle carpette ?
Pourquoi parle-t-il ? pourquoi ne parle-t-il pas ? pourquoi reparle-t-il ? pourquoi...? words, words, words que tout ça, des mots, du vent.
Accessoirement, il faut le dire, et certains le disent avec des mines faussement confuses, ça fait vendre de se poser ces questions essentielles. On s'arrache les hebdos, on réédite les essais, les pamphlets, les études politico-sémantico-psychiatriques. Il vide les caisses mais il remplit les poches de ceux qui lui consacrent des livres. C'est pas une forme de complicité, ça ?
Et si on changeait les questions ? si on passait de ce qu'il dit ou ne dit pas à ce qu'il fait. Et là ça devient intéressant parce qu'il n'y va pas de main morte, même si sur certains points mineurs - les taxis, la carte famille nombreuse - il recule. Le retour au sein de l'Otan, c'est fait. Les franchises médicales, c'est fait. La saignée des fonctionnaires,c'est fait. La remise en cause de la Sécurité sociale, c'est en passe d'être fait. Le RMS de Martin Hirsch c'est en passe de ne pas être fait... En un mot, un programme néo-libéral pur et dur ça se fait et ça continuera de se faire, si on ne se bouge pas un peu. Le reste n'est qu'un rideau de fumée