As-tu remarqué, lui écrivait-il, cette propension qu'ont certains à interrompre par un propos, urgent ou anodin, peu importe, le lecteur plongé dans sa lecture sans même songer à s'en excuser, comme si l'irruption, violente nécessairement, qui brise le fil de la lecture était sans conséquence ; comme si la lecture n'était pas une activité pleine et entière, qu'elle ne réclamait pas une présence totale du lecteur au texte qu'il lit.
Ce que l'on hésiterait à faire en présence d'un travailleur manuel accomplissant une tâche qui demande attention et concentration - dans ce cas, on attend que le geste soit accompli, qu'il ait atteint le but qu'il s'était fixé - on (le même) n'hésite pas une seconde à le faire : il rompt l'attention et la concentration du lecteur, il le tire de l'état dans lequel il est plongé, selon l'image habituelle, sans ménagement aucun, sans craindre que ce brutal passage d'un élément à un autre, celui dans lequel le lecteur est immergé est bien différent de celui, oisif et oiseux où se complaît l'autre, soit douloureux On respecte des paliers quand on remonte à l'air libre des profondeurs de la mer.
Suis-je le seul à souffrir de cet irrespect qui ne s'attache pas à ma personne en tant que telle mais au lien unique qui s'établit entre le texte que je lis et moi-même ? De ce manque de considération pour le travail intellectuel ? Comment ne pas être sensible au lointain dont il faut bien que le lecteur revienne - ce qui oblige parfois à répéter avec impatience la question posée - ; ne pas remarquer que les yeux qui se détachent de la page ont de la peine à se réadapter au monde ambiant, qu'ils s'étonnent et se troublent d'être ainsi ramenés ici-bas ?