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Billet de blog 16 décembre 2016

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Un inédit d'Althusser

L'IMEC, Institut Mémoire de l'édition contemporaine, contient un fonds Althusser qui n'a pas encore fini de nous réserver des surprises. Ainsi cette interview imaginaire, Les vaches noires, publiée aux Presses Universitaires de France.

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                      Le titre peut surprendre : c'est une allusion à la phrase de Hegel qui dit que l'absolu n'est pas indifférencié "comme la nuit où toutes les vaches sont noires" et ce n'est pas franchement un compliment à l'égard du Parti Communiste Français : en cette année 1976 où se tient son XXII° Congrès et où son Secrétaire général, Georges Marchais, vient de choisir la télévision pour annoncer l'abandon de la "dictature du prolétariat", les choses sont loin d'être claires.

                     Ce qui est passionnant dans ce texte (je n'entre pas dans les détails de sa construction puis de la décision d'Althusser de ne pas le divulguer que l'éditeur analyse longuement), ce n'est pas seulement qu'il éclaire le fonctionnement du PCF à un moment donné de son histoire mais c'est l'exemple qu'il apporte d'une réflexion politique qui s'appuie sur une théorie politique et sur les conséquences pratiques qu'on en peut tirer. Cette théorie est celle de la lutte des classes dont la "loi naturelle" est "ou dictature de la bourgeoisie (quelles qu'en soient les formes politiques) ou dictature du prolétariat" (p.215/16)

                    "Marx pose l'identité de la lutte des classes et des classes et, à l'intérieur de cette identité, le primat de la lutte des classes sur les classes. Cette formule, qui est abstraite, signifie que la lutte des classes, loin d'être un effet dérivé et plus ou moins contingent de l'existence des classes, fait un avec ce qui divise les classes en classes dans la lutte des classes."(p.212) D'où l'absurdité qu'il y a à décréter "l'abandon de la dictature du prolétariat". Althusser reprendra ses démonstrations dans deux brochures parues chez Maspéro, 22ème congrès et Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste.

                    Tout cela paraîtra du chinois à ceux qui pensent que les "classes" et leurs "luttes" sont une invention de cet horrible barbu, allemand et juif de surcroît, invention qui s'est effondrée en même temps que l'URSS et un certain mur. Tu parles !

                     Mais ce qui retient l'attention c'est la rigueur implacable de la réflexion d'Althusse, sa lucidité et en même temps son humour. C'est une étonnante leçon de lecture. A l'heure actuelle, où trouvons-nous une telle rigueur ? Ecart abyssal entre ces pages et ce qui peut se lire sous la plume des "philosophes politiques" contemporains.

                      Evidemment Althusser se fait des illusions sur un certain nombre de points et en particulier sur l'évaluation des forces en présence :"dans le rapport actuel des forces qui règne dans la lutte des classes entre l'impérialisme d'une part, et les masses prolétariannes et populaires d'autre part, la balance penche en faveur de la lutte de classes des masses prolétariennes et populaires" (p.335) Le retour du balancier fut cruel ! Il est loin d'imaginer (mais qui l'aurait pu, en 1976 ?) l'immplosion du système soviétique, l'évolution du maoïsme vers un capitalisme d'Etat, la déliquescence des PC occidentaux, la victoire idéologique (et politique) du capitalisme. Mais il pointe le défaut essentiel qui mine le PCF comme il mine notre système politique :le fossé toujours plusprofond entre les "dirigeants" et ceux qu'ils dirigent. Il le fait avec ce mélange de rouerie et de sérieux qui le caractérise si souvent :"depuis la date de mon adhésion, 1948, je n'ai jamais rencontré un seul prolétaire, ni dans ma cellule ni dans les conférences de section auxquelles j'ai assisté." Bien sûr, me direz-vous, un intellectuel, un normalien, un philosophe ! Est-on certain que les hommes politiques contemporains en aient rencontré davantage ?

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