On a beaucoup glosé sur la culture de Macron, on a même voulu faire de lui - et il a bien voulu lui-même le laisser entendre - un président-philosophe au prétexte qu'il avait servi de petite main à Ricoeur, on a admiré une parole qui jouait sur plusieurs niveaux - des envolées lyriques au franc parler - elle traduisait en réalité une sorte de rhétorique caméléonesque qui disait dans un certain contexte ce que l'on pouvait attendre qu'il dise.
Las ! les derniers jours ont fait voler en éclats cette image soigneusement construite : et nombreux sont ceux qui se demandent comment il a pu s'obstiner à défendre un projet de réforme de retraite, mal fagoté, profondément injuste, dont personne ne veut (à part les banquiers ), en usant d'arguments tellement techniques que tout le monde s'y est perdu, même lui et ses ministres peinant à en faire une description simple et réduits à mentir purement et simplement sur certaines de ses conséquences.
Cafouillage complet, donc. Mais surtout pourquoi s'accrocher à cette réforme dans le moment précis que nous (les Français, l'Europe, le monde) traversons ? alors qu'il y a tant d'autres urgences ? Ruffin là-dessus a dit des choses définitives. Ce qui fait la justesse d'une action politique, son efficacité c'est de savoir faire une analyse concrète de la situation concrète (d'accord, c'est du Lénine, mais c'est sacrément important), c'est de savoir saisir le moment opportun (ce qui ne signifie pas forcément qu'on soit opportuniste...), ce que les Grecs appellent le "kairos". Faute de quoi la prise de décision et la manière de s'y accrocher avec obstination relève non seulement de la faute politique mais du manque complet d'intelligence politique.
Le roi est nu, le roi est bête tout simplement. Et il ne sait plus quoi dire, et il laisse sa première ministre prendre les coups. Silence abyssal. Et il y a fort à parier que quand il se résoudra à "parler à ses chers concitoyens", il répètera la même chose - j'ai fait ce que j'ai fait parce que j'avais décidé de le faire, un point c'est tout. Vous n'êtes pas contents ? c'est le même prix. Vous protestez ? il se trouvera certainement un ministraillon pour dire que les grévistes, les manifestants sont de dangereux terroristes manipulés par une extrême gauche irresponsable. Et vous ne ferez qu'afficher votre inintelligence politique et ouvrir tout grand la porte à Le Pen.