Le dernier livre de Sophie Avon est un portrait magnifique de sa mère. Une belle déclaration d'amour à une femme dont la personnalité pleine de contradictions suscite des réactions tout aussi contradictoires - à la fois objet d'amour fou et de rejet, d'exaspération et d'attendrissement, tant elle cultive avec un panache indéniable son rôle de mal aimée, de délaissée alors qu'elle porte une responsabilité évidente dans bien des malheurs dont sa vie a été remplie et jusque dans la façon qu'elle a de ne reconnaître le bonheur que lorsqu'il a disparu. Une femme à la fois libre, dans ses comportements, ses attitudes, dans la manière qui est la sienne de marcher comme pour conquérir le monde ou défaire on ne sait quel adversaire et, pourtant enfoncée dans des conflits qu'elle ne parvient pas à surmonter A une femme si vivante qu'elle rêve de mourir dès lors qu'elle craint de ne plus vivre avec autant d'intensité , mais qui n'en fait rien, trop amoureuse de la vie et jouissant toujours d'être une mère alternativement tyrannique et complice, en vérité ; et lorsqu'elle tombe malade,'elle aborde la mort avec une tranquillité admirable, vivante jusqu'au bout - heureuse d'être entourée comme elle pense ne l'avoir jamais été par ses enfants et ses petits-enfants.
On a déjà noté, ailleurs, cette inversion qu'entraîne le grand âge : l'enfant devenu adulte reprenant vis à vis de son père ou de sa mère, maintenant dépendants et souffrants, le rôle de père ou de mère -à son tour carressant, soignant, nourrissant, lavant, consolant, protégeant d'un monde extérieur hostile ces corps sans défense, ces esprits qui s'amenuisent. Mais ce n'est pas l'essentiel, ici, car il apparaît vite que la mère est toujours restée une enfant et que l'histoire compliquée de sa relation avec sa fille a été plus une relation de complicité et de chamaillage entre deux soeurs qu'une réelle relation mère-fille. Et qu'il y a entre elles comme une gémellité qui explique pourquoi la mort peut être ressentie comme arrachement d'une partie de soi-même, comme diminution de son être propre et non comme simple deuil dont on sait bien qu'il finit, un jour ou l'autre, par se faire. Sait-on ce que cela implique de prendre conscience qu'on a perdu un être dont on ne découvre à quel point on l'a aimé que lorsqu'il n'est plus là ? Inconsolable.
L'entreprise est toujours périlleuse d'aborder le plus intime de l'expérience, le plus profond des sentiments - jusqu'où peut-on aller pour n'être pas taxé d'impudeur ? Sophie Avon y parvient grâce à la simplicité d'une écriture qui sait éviter toute grandiloquence - les mots, dit-elle, sont tout ce qui lui reste - et elle est devenue "un vrai moulin à paroles" - ce que dément la brièveté de ce livre qui est fait de plus de questions que de réponses et se clôt sur l'aveu déchirant de la solitude. "Y a-t-il un âge limite pour être orpheline ?"
Dire adieu est publié au Mercure de France.