La collection Stèles rassemble, depuis de nombreuses années déjà, des textes relativement courts qui sont décalés par rapport aux autres collections des Editions Confluences et offrent des expériences plus ouvertes et diversifiées de la littérature. En cette rentrée éditoriale, Confluences et Cairn nous proposent quatre textes dont je vous recommande chaleureusement la lecture
Eric Audinet : Le dromadaire d'Hossegor
C'est au hasard d'une rencontre avec une lectrice qui s'étonne de ne pas trouver sur le stand des Editions Confluences un livre sur les dromadaires ou les chameaux que nous devons ce texte plein d'humour et d'érudition maline d'Eric Audinet. Il apparaît vite qu'elle ne s'intéressait guère aux camélidés mais qu'elle songeait au Turkoman surnommé Dino qu'on avait utilisé pour transporter les milles saletés venues d'Espagne qui souillent les plages de l'Atlantique. Mais, grâce à elle, nous apprenons que, oui, il y eut bien des dromadaires dans les Landes introduits par Antoine de Sauvage au début du XVIIème siècle qui, sans doute frappé par le commun caractère aréneux des Landes et du Sahara, s'est imaginé que cette espèce animale s'adapterait bien au désert landais. Ce qui ne fut pas vraiment le cas.
Le dromadaire n'est pas le premier animal exotique qui ait été importé en Europe. Le fait est récurrent depuis l'Antiquité pour des raisons militaires ou de simple curiosité ; bientôt les zoos se multiplieront et amèneront sous les yeux fascinés des enfants et de leurs parents ces animaux (aussi bien d'ailleurs que les habitants de ces contrées lointaines) qui peuplèrent leurs rêves ou leurs cauchemars.
Ainsi est né, au XIXème siècle, l'orientalisme qui orna de belles images fantasmées la réalité beaucoup moins poétique de la colonisation. Et c'est bien aussi de colonisation que furent victimes les Landes quand, sous le Second Empire, on décida d'y planter des pins qui en détruisirent "l'organisation naturelle naturelle, sociale et politique" (p.23)
Quant aux peintres et autres écrivains partis vers l'Orient par lassitude de paysages trop connus et trop sages, ils ne cessent, dit Audinet, "d'entretenir cette vision hallucinée de l'ailleurs."
Un sujet en cache toujours un autre et l'anecdote qui enclenche la rédaction de ce texte débouche sur une réflexion beaucoup plus amère sur ce que l'exotisme dissimule de cruautés. "Ainsi de cet imaginaire oriental entretenu tout au long du XIXème eet XXème siècle - et en un sens fabriqué, peut-être, doit-on penser, au détriment de la réalité, par l'art et la littérature européenne - puis, en de multiples sens, mis en pratique dans les ailleurs enfin conquis, les actions brutales, sauvages et spectaculaires, bien des années plus tard (...) comme un effet boomerang longtemps après l'effondrement de l'empire, furent, en partie, dit-on, les funestes conséquences." (p.33/34)
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Dominique Pasqualini : L'oie de Cussac
Dominique Pasqualini nous invite à le suivre dans les boyaux étroits de la grotte de Cussac et de quelques autres lieux célèbres ou discrets de la préhistoire. Il faut d'abord s'initier à un vocabulaire aussi labyrinthique pour le non-initié (qui n'a retenu que la différence antre stalagmites et stalagtites) que les passages dans lesquels l'explorateur s'aventure. Que sont les "fistulaires" ? - des poissons ou des canaux allongés ? les"spicules" ? des aiguillons calcaires ou siliceux ? les "chiroptères" ? de simples chauves-souris. " "Adamique" n'a rien à voir avec Adam dont on s'étonnait qu'il puisse avoir troqué son Eden verdoyant contre l'obscurité des grottes, mais c'est une sorte de limon salé et gluant que l'on retrouve au fond de la mer."Apical" n'a rien à voir avec un quelconque "à pic" mais désigne ce qui est au sommet d'un organe, d'une cellule.
Mais cet obstacle surmonté, on s'enchante de ce qu'il nous fait et de la manière dont il évoque ce que nos lointains ancêtres ont laissé comme empreintes, comme dessins, comme sculptures et tous ces témoignages du bestiaire qui les entourait à l'air libre.
Deux questions essentielles sont abordées : une qui est administrativement première : à qui appartiennent ces grottes ? A celui qui possède le terrain au-dessus ; mais quand ils ont plusieurs, ça se complique sacrément et c'est le cas à Cussac. L'autre qui est abyssale (c'est le cas de le dire) : nous regardons les oeuvres gravées sur es parois, mais est-ce que nous voyons ce que voyaient ceux qui les ont gravées ? "Dans le noir cavitaire, dans le chaos & la chorâ (platoniciens , relisez Le Timée) de Cussac, tout reste encore à découvrir et tout peut aussi se dissimuler à nos yeux, même ouverts."
Enfin, l'oie vient avec son oeil rond et son sourire ironique. Je vous laisse la découvrir à votre tour.
( à suivre)