Ce livre, Evariste, de François-Henri Désérable (Gallimard, 16,90 euros), est écrit par un très jeune homme sur un autre très jeune homme dont la vie a été brutalement interrompue par un duel inepte. En vingt chapitres frémissants - vingt parce qu' Evariste n'avait que vingt ans lorsqu'il mourut, Désérable tente de nous restituer la trajectoire de ce météorite qui fut, de son temps, incompris et méconnu, mais que l'on s'accorde , à l'heure actuelle, à saluer comme le créateur des maths modernes.
Mais d'Evariste Galois, de sa vie, on ne sait rien ou si peu de choses qu'il faut bien inventer - ce qui explique qu'il s'agisse d'un roman. Et non d'un livre d'histoire des sciences puisque Désérable confesse qu'il n'entend rien aux mathématiques. Donc, il invente et projette sur son personnage quelques unes de ses propres rêveries - sur son enfance, ses amitiés, ses presque amours, ses études, échec à Poytechnique, entrée à Ulm dont il est chassé pour propos anti-royalistes, ses engagements politiques en cette période peu propice aux idées républicaines, sur ses rencontres avec Nerval, avec Dumas.
Il y a un certain nombre d'anachronismes dont Désérable tire un effet comique. Mais les ruptures de construction, les mélanges de style, les incises répétitives peuvent finir par agacer. Il peut, dans la même phrase, user d'une expression bien grasse mais très "jeune" et d'un mot dont le sens est oublié depuis des siècles : qui sait que "faire carousse" signifie "se saoûler, qu'"allumelle" est le nom d'une sorte de poignard ou que "bardache" se dit d'un homme qui s'habille en femme ? qui sait que "coailler" se dit d'un chien qui tient la queue haute quand il cherche le gibier ? ou que "bibus" est une chose sans importance, sans valeur, sans raison d'être ? Moi, en tout cas, ma science est toute neuve, je l'avoue.
Désérable a le ton parfois irritant de qui ne veut pas prendre au sérieux l'histoire qu'il invente alors qu'il vibre de rage contenue devant le destin que le Vieux (entendez Dieu) a réservé à ce génie. Certains des trucs qu'il utilise semblent venir tout droit d'un sketch d'humoriste : la manière de prendre à témoin un auditeur imaginaire (une auditrice, en l'occurrence), une façon de sauter du coq à l'âne, d'apporter des précisions qui ne font rien avancer. Et pourtant, ce type peut aussi écrire somptueusement et les derniers chapitres sont bouleversants et admirables où la dérision cède enfin la place au lyrisme :"A mon tour de frapper les cymbales, il y a trop longtemps que j'en meurs d'envie."
Il faut souhaiter que François-Henri Désérable ne se laisse pas provoquer en duel.