C'est un beau livre que Benoît Chantre vient d'écrire sur René Girard. Et sur les dernières années de sa vie, puisque la maladie l'avait déjà atteint depuis 2010 et que Benoît Chantre a pu continuer de le rencontrer et poursuivre avec lui, en dépit de son état, le dialogue à la fois philosophique et amical qu'ils n'ont cessé d'entretenir.
Un livre d'hommage et d'admiration qui dit la tristesse que se soit éteinte une voix comme celle de Girard, voix si longtemps inentendue. La France pardonne rarement à ceux qui l'ont quittée et le petit monde parisien n'avait que mépris pour cet être inclassable - philosophe, théoricien de la littérature, anthropologue ? on ne savait trop dans quelle case le placer - qui avait la bizarrerie de se dire chrétien.
René Girard est mort dans la nuit du 3 au 4 novembre 2015. Une semaine avant les attentats de Paris. L'émotion de la mort d'un ami se mêle à l'horreur de la tragédie parisienne. "Le non-violent fondamental est mort 9 jours avant le 11-septembre français, événement qu'il craignait pour son pays, tout en s'avouant impuissant à comprendre la psychologie d'un kamikaze."
Apocalypse. Méditée avant que d'être vécue. Chantre reprend les thèmes principaux de la pensée girardienne à la lumière de ces événements - rivalité mimétique, crise sacrificielle...-"René Girard se sera battu toute sa vie avec cette idée du Jugement dernier, idée qui hante les consciences modernes (...) Ce fut l'effort de René Girard de comprendre que c'étaient les hommes, et les hommes seuls, qui accéléraient la catastrophe. Que Dieu n'avait rien à voir avec la vieille idée du Jugement. Il avait même bon dos. Il était même d'une patience infinie."(p.68)
Et Benoît Chantre, dans une très belle analyse de "La Vue de Delft" de Vermeer, déplace l'attention, du petit pan de mur jaune célébré par Proust vers la ville elle-même et le clocher de l'église qui est au centre du tableau, "doigt de Dieu" indiquant avec patience le bleu du ciel. Ce qui est une manière de signifier ce thème essentiel à la pensée de Girard : "l'enfer est vide. Tout le monde a sa place au ciel indiqué par le clocher de Delft." Ce qui demeure un mystère.
Chantre prépare une biographie de René Girard qu'il nous tarde de lire.
Les derniers jours de René Girard est publié chez Grasset.