autre vertu du silence. A propos du livre d'un jeune sociologue, Ronan Hervouet, Datcha blues, paru aux éditions "aux lieux d'être". Il y est question de vie quotidienne sous la dictature de Loukachenko, pas triste ! on retrouve la grisaille kafkaïenne du bureaucratisme stalinien, la peur de la répression, etc. La datcha est un havre de paix, un moyen d'échapper aux angoisses d'une vie incertaine, une façon de retrouver une fierté de soi, de maintenir des valeurs et une mémoire familiale ; c'est aussi, même si ça se discute, une manière de s'approvisionner en produits frais et de qualité.
Mais, curieusement, tout au long de ce livre, à plein d'égards passionnant, un silence troublant sur Tchernobyl. Comment faire l'impasse sur un tel drame dont les effets continuent et continueront de se faire sentir ? Il faut attendre le dernier chapitre, en forme d'épilogue, pour comprendre les raisons de ce silence et, en ces temps d'impudeur et d'impudence qui donnent en pâture à un public supposé avide tant de choses qu'il vaudrait mieux taire, parce qu'elles n'ont aucun intérêt ou qu'elles appartiennent à la sphère du privé, une telle réserve, une telle retenue me paraissent remarquables. "accepter de jouer le rôle de l'ethnographe donne parfois mauvaise conscience ; même si, généralement, s'effacent les réticences que l'on peut spontanément éprouver, d'ultimes raisons morales venant balayer, s'il le faut, les dernières hésitations (rapporter la parole de ceux à qui elle est généralement refusée, restituer l'humanité de ceux qui sont méprisés...). Cette bonne conscience s'évanouit devant la question de Tchernobyl. (...) Les affects en jeu sont trop lourds. Ils touchent au corps, à la maladie, à la monstruosité, à la souffrance, à l'inconnu, à l'indicible, à la mort." (p.168) Préférer la discrétion aux profits qui pourraient se retirer d'éventuelles exhibitions de la souffrance humaine - même sous couvert de recherches scientifiques - n'est pas si courant.
26 mars