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Billet de blog 28 janvier 2024

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Nathan Devers, "Penser contre soi-même"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                            On dit beaucoup de bien de Nathan Devers et il n'est pas le dernier à en dire. Le livre qu'il publie chez Albin Michel (20, 90 €) s'appelle "Penser contre soi-même". J'ai rarement été aussi partagé en lisant un bouquin entre  plaisir et exaspération. Devers nous invite à suivre l'enfant, l'adolescent qu'il a été dans son itinéraire religieux - il est né dans une famille juive qui a un rapport très lointain avec la religion de ses ancêtres. Cela nous vaut des pages pleines d'humour sur la communauté juive d'Auteuil, sur son errance passée et son désir de s'assimiler au pays dans laquelle  cette errance a pris fin, la France en l'occurrence, sur son respect très aléatoire des rites juifs. Et voilà que le jeune Nathan est pris d'un désir tout à fait surprenant dans le milieu qui est le sien de partir à la découverte du judaïsme et de devenir rabbin. Et le voilà qui va à la synagogue, qui lit la Bible et le Talmud, qui suit les cours de rabbins très savants, qu'on lui demande même de commenter les lectures qu'il fait . On le remarque assez vite et sa volonté de suivre toutes les obligations de la loi juive. On lui fait lire à haute voix les passages de la Bible du jour.

                            Et le voilà qui n'a plus qu'une idée en tête, aller à Jérusalem - il  y ira à plusieurs reprises et Nathan Devers n'oublie rien de l'intensité de ses émotions. Il est clair qu'il n'y a à Jérusalem que des Juifs et cela n'éveille aucune surprise chez ce garçon. Les Palestiniens ? aucun. Les années passent, il quitte le lycée Camille Sée où il menait sa vie cachée de juif orthodoxe, euh...très orthodoxe, mais c'est son choix. Il demande à aller dans un établissement réservé aux juifs - et là, déception cruelle, il ne trouve guère de gamins aussi avancés que lui dans la recherche de la vérité, mais des ados avec leurs problèmes d'ados.

                            Et voici l'apprenti rabbin, l'expert talmudiste prometteur qui perd la foi. A cause de la Bible et de cette anti-Bible, dit-il, qu'est l'Ecclésiaste - vanité, tout est vanité - c'est bien connu. Et le voilà prêt à jeter son froc ( oui, le terme n'est pas tout à fait adapté) aux orties. Le scepticisme devient son credo. Il découvre qu'il y a d'autres livres que les Livres saints et d'autres philosophes. Et l'on pressent qu'il va se jeter dans la philosophie avec autant d'exaltation qu'il s'était jeté dans la religion. Penser par devers soi n'est pas une idée follement originale, détruire le moi qu'on a été pour une nouvelle naissance est un passe-temps auquel bien des philosophes se sont livrés, avec plus ou moins de bonheur ; mais la plupart d'entre eux ayant, disent-ils, combattu les opinions, les préjugés, fait table rase du passé retombent dans le dogmatisme qu'ils avaient critiqué et combattu chez les autres. Je vais vite, mais Nietzsche est un des rares à avoir posé la question des préjugés des philosophes ! La destruction du moi passé est bien vite suivi d'un nouveau moi, on ne sort pas de l'entre-moi - avec les mêmes excès, la même satisfaction de soi, la même affectation. On risque bien de passer d'un intégrisme religieux à un intégrisme philosophique ou bien d'une position à une autre, d'une pose à une autre pose, d'une imposture à une autre imposture.

                              Devers est un romancier qui, de temps en temps, dévoile ses secrets de fabrication et l'on comprend que la chronologie qu'il semble suivre est assez fantaisiste et que certains des personnages auxquels il rend hommage avant de les trahir sont des artefacts. C'est astucieux, ces confidences au détour d'une phrase ; pas très sympa pour le lecteur qui aurait pu se laisser prendre à ce qu'on lui a vendu à profusion dans les pages précédentes. Intelligent, même, je l'avais dit en commençant. Mais il y a un hic - l'emphase de Devers qui donne à son style une tonalité vite énervante, avec des trucs d'écriture tellement systématiques qu'ils finissent pas être lassants, comme, par exemple une avalanche de métaphores - pas toujours cohérentes...-, des tombereaux de questions haletantes, qui prennent le lecteur à la gorge.

                             Un peu de simplicité, de grâce !

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