Je l'ai appris ce matin, Jacques Abeille est mort, dimanche dernier. Par le réseau de ses amis, la nouvelle a circulé et nous plonge dans la tristesse. Rien d'officiel, une discrétion certainement voulue par Jacques lui-même, qui ne courait pas après les reconnaissances médiatiques, ni celles du petit milieu littéraire qui fait et défait les réputations. Il avait été échaudé dès son entrée dans la vie littéraire et ses relations avec ses éditeurs avaient souvent été houleuses sans que cela change un iota dans la rigueur avec laquelle il poursuivait son oeuvre. Il vivait en marge de ces remue-ménages.
Une oeuvre, le mot n'est pas trop fort. Un monde qui n'appartenait qu'à lui et qu'il a continué d'explorer jusqu'au presque terme de sa vie - celui des Contrées et de Terrèbre qui en est la capitale. Je laisse à d'autres le soin d'en analyser la richesse et la très profonde originalité. Je veux simplement dire ce que son style avait d'unique - l'ampleur de la phrase, sa structure si latine que venait nourrir une poésie toujours inattendue - tellement loin des clichés, tellement foisonnante. Il était resté, par bien des aspects, proche des surréalistes. Abeille avait un double, Léo Barthe, dont les textes érotiques alliaient une langue parfaitement classique à l'exploration anatomique la plus débridée. Et lui qui avait été un professeur d'arts plastiques dont les élèves se souviennent encore avait trouvé en François Schuiten un alter ego - l'union de leurs imaginaires a donné l'album des Mers perdues et en Pauline Berneron l'illustratrice parfaite de ses rêves.
Dans le visage émacié de ses dernières années flambait la lumière d'un regard qui avait outrepassé le réel.