Se plonger dans les articles, innombrables, que Guillemin a écrits dans plusieurs journaux - on n'en a jamais fini la recension complète - est un plaisir toujours renouvelé. On croit connaître ses amours et ses détestations, et pourtant on découvre toujours un nouvel aperçu, un élément nouveau à l 'appui de ses thèses, une formule assassine ou drôlatique, un remords quand il s'est trompé. La plupart de ces articles sont parus dans La Tribune de Genève, d'autres viennent du Nouvel Observateur ou de Construire, une revue suisse.
Et ils touchent aux sujets les plus divers - depuis la religion jusqu'à la politique en passant par l'histoire littéraire - l'occasion en est souvent fournie par un livre dont la publication récente incite Guillemin à revenir sur ses propres convictions, pour les réaffirmer avec force (il n'a jamais changé d'avis sur Buonaparté ni sur cette "garce" de George Sand) ou pour les nuancer quand de nouveaux éléments sont mis à jour (sur Claudel ou sur Tolstoï). Sur la religion, il n'est pas tendre, on le sait ; sur l'institution religieuse, plutôt. Sur la politique, il a pris définitivement le parti des petits.
Toujours est réaffirmé le souci qui le guide dans son travail - approcher au plus près de la vérité de l'être humain et cela ne va pas sans mettre au grand jour les mensonges derrière lesquels certains se sont abrités (Gide, entre autres) ou les tombereaux d'insultes qu'on a versés sur d'autres (Rousseau, Lamartine). Sa méfiance est toujours grande à l'égard de ceux qu'ils considèrent comme des professionnels du mensonge - les communistes, au premier rang, et tous les thuriféraires de l'argent-roi.
De là sa méthode constante :"se renseigner minutieusement sur les auteurs que l'on étudie (..) Loin d'être inutiles ces choses-là (rectifications indispensables, compléments d'information), concernant tel ou tel écrivain sont fondamentales." Et Guillemin de défendre : "les 'petits papiers', les 'petits papiers ridicules' ! Tout ce que je me suis entendu dire sur le temps que je perdais, assurait-on, à 'des comptes de blanchisseuse' ou des 'mémoires d'apothicaire' ! Et l'on veut m'en faire honte. De l'histoire littéraire, ça ! Vous plaisantez. Vous rabaissez la 'critique' au niveau de l'enquête policière, quand ce n'est pas à l'ignominie du 'voyeur'."
Il lui arrive parfois d'user de curieuses tautologies : Céline est Céline ; Claudel est Claudel - ce qui veut dire qu'en dépit de ce qu'ont d'haïssable les délires antisémites de l'un et les affligeants Poèmes de guerre de l'autre, ils demeurent, à ses yeux, de "fameux bonshommes". Ce qui veut dire que l'un et l'autre sont des écrivains de première importance. L'écriture malgré sa force n'excuse pas les pensées les plus détestables ; elle ne parvient pas à sauver les hommes les plus faux qui se cachent derrière elle : Gide, ce "personnage désert" dont "l'âme (..) n'était plus, à la fin, qu'une créature poreuse, vacante, inhabitée, aussi légère et aussi sèche qu'une pierre ponce."
Guillemin est heureux quand il peut trouver un allié inattendu pour répondre aux accusations toujours renouvelées de n'être qu'un pamphlétaire partisan. Ainsi des jugements sévères qu'un Barrès porte sur l'attitude des généraux français lors de la Guerre de 70 : "les généraux de Paris trahirent la loi de la nation" en préférant la défaite de l'armée à la montée de la révolte parisienne. "J'exagère, je fabule, je calomnie ? Je répète les insanités communardes sur les chefs de l'armée ? Référons-nous donc à quelqu'un d'indiscutable, à un écrivain rassurant, et qui certes n'a rien de commun avec les amis de la subversion . J'ai nommé Maurice Barrès."
L'écriture de Guillemin est libérée de tout souci académique et il retrouve fort heureusement la simplicité de son style oral. Ce qui lui permet, par exemple, de se moquer du jargon structuraliste ou derridien dont Sollers se fait gloire - quel gongorisme ridicule ! vous y comprenez quelque chose, vous ? Et il se permet, en parlant d'autrui, de parler de lui-même, de son histoire, de ses convictions, de ses révoltes et de ses espérances. Les pages consacrées à "Chateaubriand à la messe" sont émouvantes et Guillemin pourrait les reprendre à son compte. "Quand Chateaubriand est à la messe, il fait le geste de la présence. Je suis là ; je suis toujours là ; je ne cesserai pas d'être là. Je m'apporte. J'offre ma bonne volonté misérable."
Il faut rendre grâce à Patrick Berthier pour le remarquable travail d'édition qu'il nous donne , encore une fois, des textes de Guillemin ; toutes ses notes sont une aide précieuse pour élucider telle ou telle remarque de Guillemin, pour la recontextualiser ou simplement corriger une faute échappée à la vigilance des premiers éditeurs. D'autres recueils viendront, on ne peut que s'en réjouir, tant ils permettent d'échapper aux lieux communs qui peuvent encore circuler sur Guillemin et aux appropriations intéressées dont il pourrait être la victime.