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Billet de blog 17 février 2015

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Byron, l'insoumis

Incarnation du génie poétique romantique, révolté, génial, imprévisible, “ ténébreux égoïste ”, sulfureux, exubérant, tel était Byron, aristocrate né avec une cuiller en or dans la bouche, élevé par une mère despotique. Et un père débauché, irascible et violent, surnommé “ Jack le fou ”, qui l'abandonne à l'âge de trois ans.

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Incarnation du génie poétique romantique, révolté, génial, imprévisible, “ ténébreux égoïste ”, sulfureux, exubérant, tel était Byron, aristocrate né avec une cuiller en or dans la bouche, élevé par une mère despotique. Et un père débauché, irascible et violent, surnommé “ Jack le fou ”, qui l'abandonne à l'âge de trois ans.

Tout part d'une malédiction. Mutilé à vie par un pied droit difforme qui l'astreint au pied-bot, il cultive dès son jeune âge le sentiment de sa différence. Et de sa singularité. Cette malformation congénitale l'identifie à la figure de Caïn. Il en fait son frère d'élection. Son héros de prédilection. Privilégiant la nage et l'équitation pour étirer son corps, et dissimuler ses pieds sous l'eau et dans des bottes, il modèle son apparence au point de faire foncer ses cheveux.

Frôlé par l'aile de la folie, doué d'un tempérament excessif, il est mené par sa devise: “ Croire en Byron ”. Ascète misanthrope et esthète inclassable, il méprise les hommes, déteste les bourgeois, s'encanaille avec le peuple, vomit la politique, pratique la boxe et l'escrime, se gorge d'eau minérale et de biscuits secs, chérit les animaux (surtout les chiens), pérégrine en Orient (Constantinople), traverse seul à cheval l'Espagne et la Grèce.

Et surtout, il a une liaison incestueuse avec sa demi-soeur, Augusta, le grand amour de sa vie, plus âgée de quatre ans, “ faite d'un morceau d'arc-en-ciel ”, avec qui il s'affiche et scandalise la société britannique en la mettant enceinte.

Ah, le dépravé, le dissolu! Subversif et provocateur, il clame son admiration pour Bonaparte (un crime!), se marie avec une autre, vit en ménage à trois dans sa maison de Piccadily, se montre odieux avec son épouse qu'il insulte et sodomise. Divorce. Dettes. Huissiers. Ruine. Gâchis. Fuite. Hallali.

Débute alors l'exode en Europe de cet irréductible insoumis. Départ de Douvres. Saut à Waterloo comme Hugo et Baudelaire. Glace au Vauxhall, dans le parc de Bruxelles. À Genève, il inscrit son âge sur la fiche de l'hôtel: cent ans! Augusta le hante. “ C'est comme si un éléphant m'était passé dessus, et je ne m'en remettrai jamais. ” Rencontre avec Shelley qu'il admire. Byron soigne sa légende, et son allure de dandy. Son sens de la culpabilité, autant que ses tourments, et ses sentiments contrariés nourrissent son oeuvre d'un nihilisme flamboyant: “ Je suis l'auteur de ma propre destruction. ”

Proscrit, honni, maudit. C'est la beauté de sa vie. Mais aussi son drame. Échappe-t-on à son destin? Ou le fabrique-t-on? Tout se délie en Italie, pays de Dante et de Casanova. Il fait la connaissance de Stendhal dans sa loge, à la Scala de Milan. Séjourne à Venise. Joyeuse décadence. Sinistre carnaval. Revenus faramineux. Il a sa gondole avec ses armoiries, coule des jours sulfureux, copule avec les catins “ aussi longtemps qu'il me restera un testicule ”. Et tombe, finalement, malade. “ L'épée avait usé le fourreau. ”

Le chevalier servant de l'exil galope à sa perte. L'amour de l'Italie n'a d'égal pour lui que la haine de l'Angleterre. La vie romanesque touche à son terme. Byron rédige ses mémoires, qui seront entièrement brûlées. L'esprit de rébellion l'agite. Serait-il un intellectuel engagé? Plutôt un poète exalté. Révolutionnaire impétueux, sorte de Malaparte avant l'heure, il part combattre pour la liberté du peuple grec, alors sous le joug ottoman. Moderne parabole! 

Issue fatale. Tragique turbulence. Comme son père décédé à 36 ans, Byron, l'éternel abandonné, ayant vendu ses biens, écrit à Goethe, sachant qu'il ne reviendrait pas, rallie Missolonghi, cité lacustre, bâtie sur des marais, infestée de moustiques et de rats. Atteint par la malaria, après une crise d'épilepsie et des accès de démence, il rend l'âme et les armes le jour de Pâques, sans avoir combattu, après une agonie de dix jours, alors qu'éclatait un orage.

Telle fut la trépidante existence de Byron. Ses aléas et péripéties sont relatées avec brio, d'une plume enflammée, par Daniel Salvatore Schiffer, spécialiste incontesté du dandysme, à l'esprit érudit, lyrique et savant, aux phrases méandreuses et au verbe aussi caracolant que son intrépide modèle qui avait “ le cœur lourd d'avoir vécu si longtemps et pour si peu de choses ”.

Patrick Roegiers, écrivain. Dernier ouvrage paru: La traversée des plaisirs, éd. Grasset, 2014.
Lord Byron, par Daniel Salvatore Schiffer, Editions Gallimard, coll. Folio Biographies (inédit), 368 pages, neuf euros.

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