SCIENCE ET CONSCIENCE
Cet article a été publié en mai 2016 aux éditions l'Harmattan
dans le recueil de textes de Patrick Sadoun intitulé :
La controverse sur les différentes approches de l’autisme va bien au-delà d’une querelle technique sur l’efficacité comparée de telle ou telle méthode. Elle aborde la question fondamentale de ce qui constitue l’être humain et du respect qui lui est dû.
Pour nous l’être humain n’est pas un simple amas de molécules génétiquement prédéterminé ou un cerveau plus ou moins bien connecté. Ceux qui, comme les concepteurs du film « le cerveau d’Hugo », réduisent l’homme à de la matière organique, ne peuvent envisager leur intervention auprès des personnes autistes qu’en termes de rééducation et de médication en attendant de pouvoir tailler directement dans le vif du cerveau.
Le terme même de « rééduquer » a de quoi inquiéter : on l’emploie le plus souvent pour des délinquants ou des personnes accidentés. Mais nos enfants ne sont ni des criminels ni des machines détraquées ! Comme tout être humain, handicapé ou pas, et quelles que soient la ou les causes de leur handicap, ils ont à trouver leur propre voie pour faire avec ce que la nature leur a donné et l’environnement qu’ils ont trouvé. Tous les autistes de haut niveau ont réussi à desserrer le carcan de l’autisme en s’appuyant sur une passion personnelle : les animaux pour Temple Grandin, les chiffres pour Daniel Tammet, la musique pour bien d’autres. Et aucun d’entre eux n’a eu besoin de rééducation pour cela. Par contre certaines rencontres ont été déterminantes.
Un accompagnement respectueux des personnes autistes doit donc tenir compte de la subjectivité de chacun et l’étayer en s’appuyant sur les goûts, les désirs, les centres d’intérêts et les trouvailles propres à chaque individu, il doit œuvrer à l’apaisement des angoisses massives omniprésentes dans l’autisme et s’appuyer sur l’intersubjectivité pour aider à s’ouvrir au monde. Alors pourquoi devrait-on priver les enfants, les familles et les établissements qui le souhaitent du talent incomparable des psychanalystes pour calmer la souffrance psychique, créer du lien et donner du sens ?
La plupart des familles et des professionnels, cette majorité silencieuse qui ne monopolise pas la parole dans les médias, qui ne passe pas son temps à invectiver ceux qui ne sont pas d’accord avec elle et à se chercher des boucs émissaires, sait bien qu’il ne suffit pas d’oser pour « vaincre l’autisme », qu’il n’existe pas de produit ou de méthode miracle et que ceux qui prétendent le contraire en apposant le label « prouvé scientifiquement » sur toutes leurs marchandises sont des vendeurs d’illusions. Ces familles et ces professionnels de la majorité silencieuse ont toujours pris, dans ce qui pouvait être mis à leur disposition, tout ce qui pouvait leur sembler utile pour faire progresser leurs enfants : des outils tirés de toutes les méthodes éducatives, y compris l’ABA, de la psychomotricité, de l’orthophonie, du soutien psychologique, etc. Une fois surmontés le traumatisme de l’annonce du diagnostic et les premières années d’errance dans le maquis institutionnel, beaucoup ont dû, malheureusement, se rendre à l’évidence et reconnaître que, pour leur enfant du moins, la scolarisation à plein temps en milieu ordinaire, même avec une AVS formée, n’est pas toujours la meilleure solution. Et c’est alors là, dans les files d’attentes interminables d’un secteur médico-social au rôle irremplaçable, qu’est situé encore aujourd’hui le problème principal des familles.