PRETENTION SCIENTIFIQUE ET CHASSE AUX SORCIERES
DANS LE MONDE DE L'AUTISME
Cet article a été publié en mai 2016 aux éditions l'Harmattan
dans le recueil de textes de Patrick Sadoun intitulé :
Depuis la publication du rapport de la Haute Autorité de Santé de mars 2012, on assiste à une véritable chasse aux sorcières contre tous ceux qui osent émettre le moindre doute sur ce qui est devenu le politiquement correct en matière d’autisme. Un collectif s’est même créé, le kollectif du 7 janvier, qui s’est autoproclamé juge suprême du bien et du mal dans les formations et les réunions sur l’autisme. Et ces gens là tentent par tous les moyens d’empêcher de s’exprimer tous ceux qui risqueraient d’entamer leurs certitudes. Quelques exemples :
Fin septembre, j’étais invité à donner une conférence sur une architecture adaptée aux personnes autistes (pour voir mon intervention, cliquer ici) dans un colloque organisé par l’Association de la Cause Freudienne. C’était pour eux de la haute trahison : un père d’enfant autiste, militant associatif de surcroît, allait, par sa simple présence, cautionner la psychanalyse, responsable à leurs yeux de toutes les souffrances des familles touchées par ce drame. Et ils ont donc tout fait pour essayer de faire interdire ce colloque : démarches auprès du directeur du CRDP de Grenoble où était prévue cette rencontre, lettres de dénonciation de ma présence à la Ministre de l’enseignement supérieur et à la presse, puis, devant l’échec de leurs menaces, une douzaine d’activistes ont vainement tenté de perturber les 280 personnes qui ont participé au colloque.
Même scénario en octobre à Toulouse : là c’est un autre groupuscule parfaitement inconnu, « autism rights watch », qui envoie une lettre menaçante au président de l’université mais, cette fois, une institution censée être un des haut-lieux des savoirs et de la liberté de pensée se plie aux exigences d’une poignée de fanatiques et la réunion est interdite.
Un dernier exemple parmi tant d’autres : dans mon département une grande association gestionnaire d’établissements pour personnes souffrant d’un handicap mental a constitué une commission pour réfléchir aux différentes approches de l’autisme. Des intervenants de tous bords ont été invités. Un pédopsychiatre, ancien chef de service dans le principal hôpital du département, devait à son tour exposer cette semaine comment il a, pendant des décennies, aidé des enfants et des adultes autistes à se construire. Mais il y a finalement renoncé par crainte de se faire agresser.
Lorsqu’on en arrive à ce niveau d’intimidation, ce sont les libertés fondamentales d’expression et de pensée qui sont menacées. Pourtant la presse, dans son immense majorité, continue à ne relayer que les slogans de ceux qui font le plus de bruit et assènent en boucle des affirmations simplistes. Témoin cette émission mardi soir sur France 2 à une heure de grande écoute, où tous les intervenants étaient du même bord et dans laquelle tout le monde était persuadé de détenir La Vérité, la seule, la vraie, celle qui de tous temps a eu besoin des bûchers pour mieux briller.
Le plus regrettable est que deux ministres chargées de cette question, Madame Montchamp, de l’ancien gouvernement et Madame Carlotti, du gouvernement actuel, étaient sur le plateau et semblaient approuver sans nuances ces discours univoques.
C’est pourquoi, avant que le nouveau gouvernement ne marche entièrement dans les pas de ses prédécesseurs, je voudrais l’inviter à réfléchir aux points suivants :
1- L’inflation des diagnostics d’autisme ne correspond en rien à une épidémie soudaine. C’est le simple produit du changement de critères entre les différentes versions du DSM (le guide américain des maladies mentales). Ainsi, par un simple élargissement des critères de l’autisme entre le DSM 3 et le DSM 4 le nombre de personnes autistes a été multiplié par 20 !
Le gouvernement devrait d’ailleurs se pencher sur ce guide qui est de plus en plus caricatural : le DSM 4 considérait par exemple des règles douloureuses comme une pathologie mentale, le DSM 5 va médicaliser les colères des enfants, le stress, les soucis et les déceptions de la vie quotidienne de chacun d’entre nous.
Le but évident de cette croissance exponentielle du domaine de la pathologie mentale est de faire exploser les profits de l’industrie pharmaceutique (cf articles récents dans le Nouvel observateur et le Temps).
Un gouvernement indépendant des lobbies pharmaceutiques serait donc bien avisé de ne plus tenir compte de la classification américaine.
2- Le gouvernement précédent a accordé le monopole de l’accompagnement des enfants autistes à une seule méthode, la méthode ABA. Les 24 établissements dits « expérimentaux » créés ces dernières années n’utilisent que cette méthode, vieille de plus de 60 ans. Or :
- Aucune étude sérieuse n’est venue la valider. Dans le rapport de la HAS, elle est classée de niveau B, c’est-à-dire « fondée sur une présomption scientifique fournie par des études de niveau intermédiaire de preuve ».
- Le docteur Laurent Mottron, spécialiste canadien de l’autisme, a démontré que les études sur l’efficacité de cette méthode ont été faites par les organismes qui vendent ces formations.
- Vue l’extension du champ de l’autisme, on applique aussi cette méthode à des enfants qui ne sont pas autistes et on crie ensuite au miracle lorsqu’ils font des progrès.
- L’ABA repose exclusivement sur les réflexes de Pavlov, elle ne tient aucun compte des autres moteurs de l’apprentissage, comme l’imitation, l’identification, l’amour, le transfert, etc. Les théoriciens de cette méthode affirment que les personnes autistes sont incapables d’imiter alors qu’une chercheuse du CNRS, Madame Nadel, a magistralement prouvé le contraire.
- L’ABA, qui se prétend scientifique, moderne et novatrice mais ne fait que reprendre la vieille pédagogie de la carotte et du bâton, a longtemps utilisé des châtiments corporels. Aux Pays Bas; c’est encore le cas, les enfants reçoivent une décharge électrique lorsqu’ils ne font pas ce qu’on exige d’eux. Vinca Rivière, une des figures emblématiques de l’ABA en France, qui gère un établissement dans le Nord, regrette que la législation française ne permette pas ce qui se fait là bas. (cf article Médiapart du 3 avril 2012 de Sophie Dufau).
- Comme tout dressage, l’ABA instaure des rapports de force et de domination. Dans une institution ne peuvent se sentir à l’aise dans ce type de rapports que ceux qui y trouvent du plaisir. Les dérapages vers la maltraitance en sont d’autant plus facilités. C’est pourquoi aussi il y a un tel turnover du personnel dans les établissements qui l’imposent : pour tout éducateur à l’écoute des enfants, la violence inhérente à cette pratique n’est pas longtemps supportable.
- La normalisation forcée des comportements et l’interdiction des stéréotypies peuvent entrainer de la violence et des somatisations : troubles alimentaires et constipation chroniques, maladies de la peau, etc.
Le gouvernement précédent a cédé aux pressions du lobby financier de la méthode ABA. L’opinion publique ne comprendrait pas qu’un gouvernement de gauche creuse à son tour un peu plus le déficit de la sécurité sociale pour enrichir ce lobby nord américain.
- Pour que les enfants acceptent de se plier à 40 heures d’exercices répétitifs par semaine, on les met souvent sous médication et cela, en contradiction flagrante avec le rapport de la HAS qui affirme nettement qu’aucun médicament ne soigne l’autisme ni n’a reçu d’autorisation de mise sur le marché pour cette population. Or tous ces médicaments ont des effets secondaires graves.
On a peut-être là le futur scandale du médiator ou du sang contaminé et les politiques qui prendraient le risque de rendre ces pratiques obligatoires auront peut-être un jour des comptes à rendre à la justice.
Avant de reproduire et de généraliser les erreurs du gouvernement précédent le gouvernement actuel serait donc bien avisé de charger une commission d’enquête indépendante d’établir un rapport sur la méthode ABA, en particulier sur les points suivants :
- Efficacité de cette méthode
- Taux comparatif de mise sous tranquillisants là où elle est appliquée
- Taux comparatif de turnover et d’absentéisme du personnel
- Taux comparatif d’exclusion d’usagers (ceux rétifs à la méthode)
- Troubles somatiques induits par le forçage
- Fréquence comparative d’actes de maltraitance
- Etude des circuits financiers
3- Le rapport de la HAS de Mars 2012 :
Ce rapport se présente comme une « recommandation » mais il a été perçu par certains comme une norme obligatoire. Et il a entrainé une véritable chasse aux sorcières contre tout ce qui commence par « psy ».
Or la HAS a déjà commis plus d’une faute dans le passé. Pour mémoire nous rappellerons seulement que, dans un rapport de 2005, elle préconisait une intervention chirurgicale sur le cerveau des personnes souffrant de TOC. A combien de personnes aurait-on conseillé de se faire ouvrir le crâne si le gouvernement de l’époque avait imposé à tous les professionnels de santé d’appliquer strictement ces recommandations ? (Lire ici l'article du Monde)
Par ailleurs il n’y a jamais eu une vérité unique et définitive pour tout ce qui est humain, ni en matière de pédagogie, ni en matière de thérapies. Pourquoi serait-ce différent avec les personnes autistes ? Et en quoi est-ce le rôle du parlement de légiférer pour arbitrer les querelles idéologiques entre différents courants de pensée ?
Pour mettre fin aux atteintes actuelles à la liberté de penser sur toutes les questions que pose l’autisme le gouvernement ferait donc bien de relativiser la portée de ce document et de déclarer publiquement que les recommandations de la HAS de mars 2012, comme beaucoup de celles qui l’ont précédée, n’ont pas vocation à s’ériger en norme contraignante.