J'étais officier-marinier de la Marine nationale basé à Toulon, les événements d’Algérie se sont produits et j’ai voulu aller voir ce qui se passait là-bas, et je me suis porté volontaire pour être affecté à la Demi-Brigade de Fusiliers-Marins basée à Nemours à la frontière marocaine. Et là commença une partie importante de ma vie, je me trouve confronté avec ces problèmes compliqués de colonisation et de racisme larvé, je me demandais ce que nous étions allés faire en Afrique et pourquoi nous voulions imposer notre civilisation à des gens qui n’en voulaient pas.
Peu de temps après mon arrivée à Nemours la Marine a essayé d’engager la pacification de la population musulmane et je me suis porté volontaire pour l’exercer dans un douar à proximité de Nemours qui s’appelait Sidi Amar. J’étais le secrétaire du Bureau Documentation Liaison de l’’Etat-Major, une sorte de Service de renseignements, et je m’occupais de la harka de la DBFM au point administratif,
Un jour un habitant m'a dit que si en 1945 lorsque l'Algérie a été déclarée département français, l'Etat avait accordé aux algériens les mêmes droits que les métropolitains il n'y aurait pas de guerre !
. J’avais un interprète Mohamed ben Mohamed pour m’aider. Ce fut une expérience extraordinaire, j’ai installé une infirmerie avec un infirmier HENRY qui m’accompagnait, on dispensait des soins élémentaires à la population, principalement des enfants. A Sidi Amar il y avait une école tenue par un couple d’instituteurs dévoués Mr et Mme MONIN je crois et avec lesquels j’ai passé de bons moments de convivialité. J’ai ramené la clé de cette infirmerie : nostalgie !
Période terrible aussi : le jour je m’occupais des besoins de la population de ce douar paisible, et la nuit on me faisait partir en embuscade avec un groupe de matelots pour essayer d’intercepter des rebelles qui devaient venir du Maroc tout proche !
Puis est venu le 19 mars 1962 le cessez le feu en Algérie, le désarmement des harkis. Mon commandant le lieutenant de vaisseau ANUS était inquiet pour les harkis et leurs familles. Les officiers étaient partis, et l’armée de terre avait pris la place de la DBFM. Avant de partir le L.V. ANUS a organisé le rapatriement des harkis et de leurs familles, et comme je lui demandais ce que je devenais dans tout ça il m’avait répondu « ce n’est pas votre guerre, votre femme est enceinte et vous avez deux enfants : vous rentrez chez vous » et m’avait demandé de les accompagner jusqu’à Mers el Kébir, en me précisant que nous n’aurions pas d’ennuis avec l’O.A.S. pendant le trajet.
Le seul incident survenu a été qu’un jeune harki a demandé à dire au revoir à sa grand-mère qui habitait à proximité de notre trajet : il n’est pas revenu dans le temps qui lui avait été accordé et le convoi ne pouvait pas attendre. A Mers el Kébir les harkis et leurs familles ont été pris en charge et embarqués pour la France, et je n’en ai plus entendu parler que par la presse.