C’est devenu une tradition des deux quinquennats d’Emmanuel Macron. Presque chaque année, le Président tient devant les ambassadeurs une conférence au cours de laquelle il commet de lourdes erreurs de lecture et d’approche méthodologique sur les relations internationales. L'édition de 2025 n'a pas manqué de faire réagir. Elle a été suivie une semaine plus tard par le départ son conseiller diplomatique.
Le ton était déjà donné dans son adresse de 2019. Emmanuel Macron avait surpris en voulant convaincre des diplomates bousculés d’un nécessaire rapprochement avec la Russie. Oubliant les milliers de morts en Ukraine, les territoires occupés au mépris du droit international en Ukraine, Moldavie et Géorgie et la terrible répression menée contre les Russes par Vladimir Poutine, le Président y reprenait sans sourciller le narratif du Kremlin, en l’exonérant de sa responsabilité.
A moins de trois ans de la reprise meurtrière de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, il tentait en effet d’expliquer aux ambassadeurs que les actions malveillantes de la Russie étaient issues d’une “série de malentendus”, et rejetait la faute sur l'Europe qui “a donné le sentiment d'être le cheval de Troie d'un Occident dont le but final était de détruire la Russie et où la Russie a construit son imaginaire dans la destruction de l'Occident et donc l'affaiblissement de l'Union européenne”.
Une approche réaliste ne saurait jamais valider la cession de territoires ukrainiens à la Russie.
Ce lundi 6 janvier 2025, en revenant devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron reproduit ses erreurs, en prononçant cette phrase lourde de sous-entendus: “les Ukrainiens ont à mener des discussions réalistes sur les questions territoriales et eux seuls peuvent les conduire”.
Soyons directs : les seules “discussions réalistes” que la France doit promouvoir sont celles d’un retour à l’intégralité territoriale de l’Ukraine. Tout renoncement sur ce sujet ne pourrait être compris autrement que comme une validation de l’usage de la force par Vladimir Poutine. Ce serait une erreur stratégique monumentale que d’accepter que la dictature de Poutine puisse brutalement s’emparer de portions de territoires chez ses voisins.
Ce n’est pas faire preuve de “réalisme” que de vouloir nier cette réalité pour entretenir la fiction inutile et faussée que des concessions de Kyiv permettront une sortie de la guerre. Faire preuve de réalisme c’est énoncer clairement que la présence de régimes autoritaires aux frontières de l’Union européenne constitue une menace sécuritaire pour celle-ci.
Le Kremlin a en effet choisi de se positionner de lui-même comme un adversaire de l’Union européenne. Il dirige depuis des années des campagnes d’affaiblissement de l’Union et s’attaque frontalement aux intérêts de ses États membres. Ces assauts sur les démocraties sont trop nombreux pour être tous cités, mais rappelons que la Roumanie a été contrainte d’annuler il y a quelques semaines son élection présidentielle en raison de manœuvres d’ingérence russes via les réseaux sociaux.
Toujours dans son discours de 2025, Emmanuel Macron se rappelle heureusement de cet épisode, mais s’interroge : “[La] Roumanie a dû annuler une élection présidentielle en raison d'ingérences et de manipulations électorales clairement attribuées à la Russie. Qui l'aurait imaginé il y a 10 ans à peine ?”
La question est troublante d’ingénuité. Il y a 10 ans et quelques mois, Maïdan battait en effet son plein en Ukraine et nombre d'observateurs en tiraient des conclusions précises sur les plans du Kremlin en matière d’ingérence chez ses voisins.
Avec la Syrie, Emmanuel Macron a fait la preuve de la même inconstance qu’avec la Russie.
Ce flottement sur Vladimir Poutine rappelle celui du Président de la République sur la Syrie. Rallié à la position russe avec laquelle il cherchait un terrain de coopération et au nom de la lutte contre le terrorisme, il déclarait dès juin 2017 à la presse que la destitution de Bachar al-Assad n’était pas “un préalable à tout, car personne ne [lui] a présenté son successeur légitime” avant de revenir une nouvelle fois sur le sujet en déclarant cette fois en décembre 2018 que son maintien au pouvoir serait une “erreur funeste”.
C’était sans compter un nouveau revirement d’Emmanuel Macron en 2023 lors de son dernier discours aux ambassadeurs. Le Président semblait y suggérer que la réinsertion partielle du régime de Bachar al-Assad dans certains organes diplomatiques, et la "lutte contre le terrorisme" justifiaient bien de reprendre langue avec ce dictateur et lui renvoyer les réfugiés de son pays.
Pourtant, de Poutine à al-Assad, la lutte contre le terrorisme ne peut pas servir à justifier la coopération avec les dictateurs les plus sanglants de la planète. Le calendrier de cette position était d'autant plus malheureux que les ferments de la chute de Bachar al-Assad prenaient forme à cette même époque, et que le régime s'effondrait quelques mois plus tard.
Cette inaptitude à saisir les mécaniques géopolitiques n’a pourtant pas empêché le Président d’oublier ce lundi 6 janvier s’être égaré plusieurs fois sur la question syrienne et d’annoncer aux ambassadeurs français : “En Syrie, soyons fiers de n'avoir jamais cédé à la facilité de croire que le dictateur pouvait être réhabilité”
En Europe de l’Est, comme au Proche-Orient, Emmanuel Macron s’est souvent illustré par son incapacité à lire les situations politiques locales, conduisant à une perte de légitimité à faire porter la voix française dans ces régions. Ces dernières années auront été marquées par de nombreux rendez-vous manqués pour la France, et avec elle pour l’Union européenne. De la Géorgie à l’Ukraine en passant par le Haut-Karabagh, les opportunités d'avoir une action diplomatique courageuse sur la scène internationale ne manquent pourtant pas.