Au moment où l'on parle du pouvoir d'achat et du prix du baril qui flambe, chacun ressent la lancinante aliénation du consumérisme tirailler ses propres contradictions avec des soubressauts de honte et de culpabilité. Chacun voudrait y échapper sans que personne ne sache comment. A moins de penser l'impensable : la fin du progrès, la regression du confort.
La gratuité, elle, se porte bien. C'est une mauvaise herbe qui essaime rapidement. On la connait de longue date et on la respecte quand elle est l'illustration de la vie des saints, l'essence de la révolution, l'expression de l'héroïsme de toute resistance. Pourtant, elle pose problème à deux endroits hautement symboliques : l'art (musique essentiellement) et l'information.
Pour l'art musical, la confusion est à son comble : on pétitionne, on promulgue, on s'insurge, on s'invective. Bref, on veut légiférer mais la situation empire. On ne sait pas comment réagir fasse à la terrible copie illégale. Que ceux qui s'agitent sur le sujet ne s'inquiètent pas, c'est une chanson - si j'ose dire - déjà connue. L'histoire du livre illustre bien les soubressauts qu'une technologie fait subir à une société. C'est à la fois la fin d'une confiscation du savoir, la liberté d'apprendre par soi-même, le droit d'être reconnu et rétribué. Le dépôt légal (Ordonnace de Montpellier 1537), le privilège du roi (http://www.theatre-classique.fr/pages/bio/origine.html ) qui permit aux Crébillons un contrôle total au XVIIIème sicèle, la mise à l'index religieuse et le droit d'auteur (Création de la SACD en 1777 www.sacd.fr) ont essayé d'encadrer les écarts de conduite. En vain, il restait des interstices (dirait Mathieu Potte-Bonneville) dans lequel bon nombre de copieurs et copistes se sont glissés : publication à l'étranger, utilisation de pseudonymes etc... Mais il est des changements de tehcnologie qui constituent des changements de nature. Entre la copie de 33 tours sur un magnétophone à cassette qui luis même permet une recopie et ainsi de suite et la technologie numérique du MP3, il y a une différence entre ce qui permet une copie unitaire, approximative et qui s'altere et une copie exacte et immédiate et une diffusion universelle qui rend tout contrôle plus qu'improbable.
L'encyclopédisme de Wikipédia a posé plus récemment une pierre dans la mare du savoir. Certains administrateurs du savoir y ont lu une déviance voire une arrogance : tout le monde peut dire ce qu'il veut sans contrôle (http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/article-5399615.html). C'est la rapport à la réalité et à la vérité qui change. Il faut ensuite se poser des questions : l'information payante est-elle toujours juste, la source de l'information payante est-elle fiable. Il serait fastidieux mais très amusant d'en dresser une liste qui confondrait ses défenseurs.
Le problème de Wikipedia est ailleurs. Le modèle est correc, la technologie est efficace, l'utilisation est à parfaire. La modération est une fonctionnalité vers laquelle Wikipedia va avec une organisation pyramidale des vérifications. La possibilité de visualiser l'historique des mises à jour ou le blocage de certains articles en modification lors d'attaques récurrents et destuctrices sont des outils qui améloioreront le produit. Mais que faire des informations et du savoir qui va à l'encontre du savoir validé et entendu. Que faire des révolutions scientifiques ?
Autre effet de la gratuité, les journaux gratuits. Ersatz d'information, alignement de dépêches de l'AFP et de Reuters rhabillées à la hâte, portion congrue de pseudo-savoir, voilà des critiques qui tuerait plus d'un journal. Pourtant, les payants sont-ils libres, disent-ils plus de choses, plus pédagogiques et interessantes ? La liberté de la presse est donc comprimée comme une oeuvre de César entre deux puissances : la concentration des titres payants dans les mains crochues des grands groupes de presse (ce qui n'est pas nouveau non plus) et la diffusion de la petite information gratuite. Pourtant, les habitués des transports en commun peuvent être fascinés par le nombre de lecteurs de tout poils et de toutes choses. A-t-on jamais autant lu ? Mais lu quoi et comment ? Où est l'analyse, où est le doigt qui pointe sur le fait marquant. Est-on face à l'opium du peuple, il y a de quoi faire un vacarme.
Ultime gratuité, l'accès total et immédiat à des millions de livres numérisés de part le monde par Google principalement et par les bibliothèques nationales et universitaires quand elles en ont les moyens. Enfin, des ouvrages qui étaient interdits d'accès par leur rareté, leur état de conservation dans les bibliothèques, l'absence de réédition, ou d'édition critique sont exhumés et revélés dans un désordre sans nom, dans un fouillis calamiteux mais ils sont là. Qu'en faire ? Brasser et encore brasser, penser, classer, rediffuser.
C'est la grande leçon de la gratuité : la nécessaire vigilance du citoyen s'il veut que ce terme garde un sens et éviter qu'il se confonde avec celui de consommateur. Il est aussi l'auteur de ce qu'il lit, il est l'acteur de ce qui se passe.