La notion de gratuité montre ses limites dès que la pensée s'empare du contexte global de la production d'un bien. "Rien n'est gratuit" dit-on. En effet, le temps, l'énergie, la matière première et certaines ressources sont consommés pour produire un bien identifié comme gratuit, cette logique n'épargne pas le chasseur amazonien qui doit payer "de sa personne" pour aller se procurer sa subsistance dans la nature. Il faut donc y substituer la notion de libre.
On peut faire remonte l'origine du libre à l'existence de l'homme sur terre. Lui qui en société a mis en place le don et son pendant contre-don (mais aussi le vol) qui sont à la base de la vie pacifique en communauté : nous nommerons cet aller-retour par échange. Nous voilà donc avec deux nouveaux termes : échange et communauté. Bigre ! Nous avançons fichtrement vite. La notion est donc généreuse et nous ne parlons plus de gratuité.
Il semble qu'ensuite les choses se soient gâtées. Il a fallu substituer un objet intermédiaire pour permettre de conserver une valeur qu'un contre-don ne pouvait satisfaire : une devise. La devise est un objet pris arbitrairement et auquel on attribue une valeur étalon ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Devise_(monnaie) ). La situation a alors dégénéré jusqu'à ce que l'argent recouvre la planète entière avec ce système de référence et que quasiment tous les échanges soient monétarisés. Parfait ! diront certains. Certes, mais le fait est que tout à coup en ce début de XXIème siècle, la moitié de la population mondiale se rapproche dangereusement de la famine, et ce dans un marché de libre-échange dans un monde libre. Les économistes savent nous l'expliquer mais cela reste inadmissible. Pourtant on n'a jamais produit autant de richesses, la technologie accomplit les plus fous de nos rêves, l'on n'a jamais vécu aussi longtemps en aussi bonne santé. Il est inutile de faire la description de ce qui nous a amené à ce problème, le lecteur se remémorera l'ensemble de l'épopée humaine de ces quatre mille dernières années.
Avant cette catastrophe, disons depuis la seconde guerre mondiale, renforcé par 68, et prenant son essor dans les années 80, deux prises de conscience ont émergé : le besoin d'échanger sur un mode individuel et local et la volonté d'offrir un prix juste pour un travail juste. Les systèmes d'échange locaux (ou SEL) étaient nés. En France, Sel'idaire ( http://selidaire.org/spip/ ) recense 304 SEL de Brest à Nouméa dont le seul but est l'entraide et avec lesquels il est impossible de devenir riche. L'administration s'est résigné non sans procès et veille attentivement à ce que ce système, qui échappe à la TVA, ne prenne une ampleur inquiétante.
Comme tout ne peut faire l'objet d'échanges locaux, le commerce équitable s'est inséré dans le système standard et universel en créant des circuits de récolte et de diffusion parallèle. Dix règles ont été édictées pour donner un cadre de travail et obtenir le label Fairtrade Labelling Oranizations ( http://www.fairtrade.net/ ) ce qui impose l'acceptation de contrôles.
En parallèle, on peut penser à Coluche qui nous a rappelé à notre devoir de générosité. Il n'était pas le premier mais il l'a dit très fort. Le secours catholique et le Secours populaire ou l'Abbé Pierre étaient déjà sur le terrain depuis des décennies mais il a rendu le besoin plus visible en le projetant dans nos télévisions.
Enfin, tout au bout de cette chaîne composée de maillons apparemment disparates, il y a l'étrange projet GNU ( http://www.gnu.org/home.fr.html ). Les informaticiens le connaissent bien et les produits qui en découlèrent ont donné Linux et Open Office puis Wikipedia : il s'agissait et il s'agit toujours d'échapper aux logiciels propriétaires et particulièrement prohibitifs avec le postulat qu'une communauté de bénévoles pouvaient produire des logiciels d'aussi bonne qualité et fournis gratuitement.
Richard Stallman, qui en est le gourou de cette secte étrange, définit lui-même la notion : « Je puis expliquer la base philosophique du logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Liberté, parce que les utilisateurs sont libres. Égalité, parce qu'ils disposent tous des mêmes libertés. Fraternité, parce que nous encourageons chacun à coopérer dans la communauté. ».
Il n'y a donc pas lieu de désespérer complètement mais plutôt à renforcer nos convictions et nos actions avec ces modes coopératifs (d'autres diraient alternatifs) où les communautés se créent, nouent et bâtissent des liens au gré des besoins sans astreinte ni contrainte. De l'utopie raisonnée en quelque sorte.