Paul Isambert

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Billet de blog 5 mars 2024

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Essence

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’autre jour, je vais pour faire le plein, je suis sur la route de Charontilly, là où il y a la station dans la pente, après la côte de Rochon, je vois la station, il y a personne, je peux me garer tranquille avec la pompe à gauche, autrement c’est chiant faut faire le tour avec le tuyau, tu vois ? Je sors de la bagnole, je vais pour ouvrir le réservoir, et d’un coup t’as un type qui sort de derrière la pompe, genre il était caché ou je sais pas quoi, il a déjà le tuyau à la main, le pistolet là, il me regarde comme ça, sans rien dire, puis il me demande essence ou diesel. Genre pompiste, tu vois, sauf qu’honnêtement il ressemblait à un clodo, un vieux t-shirt dégueu, un vieux jean troué, des sandales, en plus un renoi, un grand maigre, le regard complètement à l’ouest, genre drogué. Je me dis, OK, on va pas l’énerver. Il avait pas l’air costaud, franchement une pichenette il tombait, mais je me suis dit, s’il est sous coke, ça peut être un gros taré, j’ai pas envie de prendre de risque. Tu sais, genre il te sort le briquet et tout. Peut-être je fais le parano mais honnêtement c’était pas rassurant. Tu te dis le gars il veut une pièce et il vient te choper comme ça, et en plus il y avait personne dans la station. Donc je lui dis tranquillement que je peux m’en occuper et lui, tout calme en fait, il me dit c’est mon travail. J’insiste un peu, je lui dis, c’est bon, je sais faire, tu sais nos parents peut-être ils avaient des pompistes et tout mais nous c’est bon, on sait faire. Et là le mec, il me dit genre faut me laisser faire mon travail et il essaie de me choper les clefs, d’un coup comme ça, moi je me recule d’instinct mais là je commence sérieusement à flipper, du coup je ferme la caisse à clef mais je le lâche pas des yeux, et je rentre dans la boutique, genre je vais me plaindre.

Pourquoi il avait déjà le tuyau à la main et puis il me demande essence ou diesel, je sais pas, mais je rentre dans la boutique, je me dis je vais régler ça avec le gérant. Ça me fait chier parce que s’il faut appeler les flics, tu vois, j’ai autre chose à foutre, mais bon le type il me faisait quand même flipper et tout. Et là, dans la boutique, derrière le comptoir où tu paies, y a un autre renoi, pareil, un grand, plus vieux, l’air aussi à l’ouest, au début je calcule pas trop mais après je me dis, bizarre quand même. Mais je vais quand même le voir, je lui dis y a un type qui, en faisant un signe vers la bagnole, lui aussi, le gérant, il me faisait un peu flipper, il regarde un peu dehors et il me dit c’est le pompiste. Et moi je suis là genre, quoi, c’est quoi ce délire, histoire de gagner du temps je lui dis depuis quand il y a des pompistes mais lui juste il hausse les épaules. Et là je me dis, OK, soit la station a été rachetée par des sénégalais, genre le truc chelou mais comme les chinois qui rachètent des bars-tabacs, soit je sais pas elle a été braquée par une bande de clandés, mais franchement je me dis, faut pas exagérer, je suis en train de flipper pour rien. Du coup, je ressors, et là, coup de chance, y a une autre voiture qui arrive. Y a une bonne femme qui sort, et elle commence à se servir toute seule, du coup je m’approche du pompiste et je lui dis vous voulez pas vous occuper de la dame mais lui il me dit juste diesel, c’est écrit, genre il m’a pas entendu, du coup j’insiste, c’est une femme et tout, et en plus c’est vrai t’as des gonzesses il leur faut une plombe pour faire le plein, tu sais quand t’attends derrière t’es là genre. Mais le gars il s’en tape complètement de ce que je lui raconte, il me regarde comme ça, il attend comme ça, avec le pistolet à la main. Je me rappelle, il y avait même un peu d’essence qui coulait, rouge, j’arrive jamais à me souvenir que l’essence dans les pompes elle est pas noire. Bref je laisse tomber, du coup je vais pour ouvrir le réservoir, mais le con il est juste devant et il bouge pas, je suis obligé de glisser la main, déjà que c’est chiant à ouvrir, il y a une sécurité ou je sais pas quoi, du coup je galère comme un crétin avec lui tout près, en plus je sens il pue la sueur.

Je finis par réussir à débloquer le bouchon, je le garde à la main parce que tu sais il y a la clef qui reste coincée donc j’ai pas envie que le gars, genre si c’est une espèce de braquage. D’ailleurs le gars il bouge pas, et je me dis mais qu’est-ce qu’il fout, du coup je lui dis vous pouvez y aller, et il finit par enfiler le pistolet dans le trou, mais à chaque fois qu’il veut envoyer l’essence ça s’arrête, genre le réservoir est plein, parce que faut un peu tourner le pistolet sur le côté, du coup j’essaie de lui expliquer mais j’y arrive pas vraiment, et t’as la pompe qui fait brrrmmmm, clac, brrrmmmm, clac, et je me dis putain on n’est pas rendus. Je regarde le total qui bouge genre cinq centimes par cinq centimes. Là ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille que pour un pompiste quand même il était pas doué, mais bon sur le coup tu sais pas trop quoi penser, et lui il relève la tête et il me fait un grand sourire, avec pas beaucoup de dents mais quand même. Et là je vais voir la bonne femme qui est en train de se servir, genre comme ça si y un problème au moins y a un témoin, peut-être ça les découragera, parce que je suis encore pas trop rassuré. Je sais pas trop comment l’aborder, d’ailleurs elle me regarde pas, genre j’existe pas, mais je finis par lui dire vous saviez qu’il y a des pompistes maintenant, juste pour lui dire un truc mais aussi parce que peut-être qu’elle est au courant, que c’est normal et tout. Mais elle, à peine elle me regarde, elle fait genre hein puis elle sort son portable et fait genre elle téléphone. Je me dis putain la connasse, je reste là comme un con, une seconde je me dis qu’elle va le lâcher mais que dalle, du coup je reviens vers la caisse, avec le renoi toujours en train de faire le plein et la pompe qui fait brrrmmmm, clac. Mais la bonne femme elle m’a donné une idée, genre je vais sortir mon téléphone le temps que ça se passe, sauf que là, le truc con, le téléphone je l’ai laissé dans la voiture, tu sais je le mets toujours dans le vide-poche devant le levier de vitesse, et la voiture elle est fermée, et la clef elle est coincée dans le bouchon. Du coup je m’assois sur le capot, je fais genre je regarde le paysage, sauf que honnêtement t’as pas grand-chose, t’as la route et après t’as des espèces de champs, tu vois des hangars au loin, genre Z.I., quoi. Je me suis toujours demandé ce qu’il y a dans ces zones, mais là de toute façon j’étais trop loin, je voyais rien. Mais je fais genre quand même je suis super intéressé, histoire de. Sauf que bon, je tiens pas longtemps, je me fais trop chier, du coup je me retourne pour regarder la boutique, mais avec le soleil qu’il y a je vois que mon reflet.

Du coup je commence à me sentir vraiment con et la pompe qui fait toujours brrrmmmm, clac, et je finis par demander au pompiste, genre je fais la conversation, depuis combien de temps il fait ce boulot. Et lui il me dit ça dépend, genre pas super sympa, mais moi je sais pas pourquoi j’ai envie de le faire parler, juste pour le faire chier peut-être, genre OK t’as voulu m’emmerder à faire le pompiste ben moi je vais te faire chier aussi. Et du coup je lui demande ça veut dire quoi ça dépend, mais il me répond toujours pas, genre même il arrête de verser l’essence, il se met à tousser comme un vieux cancéreux et il crache dans un mouchoir dégueu, et moi j’insiste, genre je croyais que ça existait plus, les pompistes, et là il me répond faut bien extraire le pétrole. Forcément, c’est pas ce que je voulais dire, mais il continue, il me parle des foreuses, des extracteuses, des je sais pas quoi qui ressemblent à des poules géantes qui picorent, je me souviens il a dit ça, genre proverbe africain tu sais. Mais il me dit faut aussi des hommes, c’est les hommes qui prennent les commissions. Je commence à plus comprendre grand-chose, du coup je fais une blague que forcément les machines elles prennent pas les pourboires, et lui juste il me regarde, et je commence à me sentir sérieusement con et là, le mec, je te jure, il se met à me parler de sa sœur qui serait morte. Moi je suis là, genre c’est quoi le rapport, mais lui il continue, sérieux, après la mort de ma sœur, comme ça, qu’elle se serait pris une balle perdue, mais que les balles perdues ça existe pas vu que c’est fait pour tuer et donc que si une balle tue elle est pas perdue, sauf que moi je me dis nan mais attends, balle perdue, tu vis où, genre ? OK, je comprends qu’il me parle de l’Afrique, mais quand même faut pas exagérer, ça devenait trop gros son histoire. Mais lui il continue, tranquille, genre sa sœur est morte et du coup il s’est engueulé avec son père, parce que son père il voulait se battre mais lui il voulait plus, genre il y avait une guerre entre Machin et Bidule, et je me dis le type il est en train de m’enfler sérieux pour me soutirer un pourboire, je suis sûr, il me fait le coup du réfugié du Rwanda ou je sais pas quoi, tu sais, genre comme les roms j’ai quinze enfants, etc., mais bon dans ce genre de situation tu vas pas te mettre à dire au mec qu’il faut qu’il arrête son char, parce qu’il te fait bien culpabiliser, genre c’est un peu de ta faute et tout. Et puis franchement je voulais juste qu’il me fasse le plein, la pompe elle allait encore à deux à l’heure, je me suis dit je vais pas m’embrouiller avec lui, dès qu’il y a le plein je vais payer. Bref moi je lui avais demandé depuis quand il est pompiste et il se met à me raconter sa vie, donc après la mort de sa sœur il s’est barré de chez lui pour aller bosser sur un site, c’est comme ça qu’il a dit, juste un site, mais genre il y avait pas de DRH et il demandait du boulot aux gars qu’il croisait, et apparemment on l’envoyait à droite à gauche.

Et puis il a fini par se faire embaucher, je me rappelle il m’a dit c’est un blanc qui l’a embauché, genre tu sais le gros cliché pour me faire culpabiliser, et moi je suis en train de penser t’es gentil mais moi j’ai rien fait en Afrique, donc tu peux toujours essayer mais bon. En plus il me décrit même le patron, genre la gueule de mercenaire limite le béret sur la tête, les lunettes de soleil, le gros cigare et tout, et après il me raconte qu’il vivait dans une espèce de village avec les autres ouvriers, genre pas d’électricité et tout, même pas de route pour aller bosser, juste un sentier, il en rajoute grave genre moyen-âge avec les militaires sur le bord de la route quoi. Et il se remet à me parler de Machin et Bidule qui se faisaient la guerre, les deux camps et tout, que les ouvriers il évitaient d’en parler mais que parfois il y avait des bastons mais que quand même ils en parlaient pas, moi je me dis OK le mec super cohérent, et là il s’arrête, il me regarde et il me demande de toute façon au final c’est qui qui gagne ? Et genre il attend une réponse. Du coup je finis par dire que je sais pas, forcément j’avais même pas vraiment suivi ce qu’il racontait. Et lui il me donne même pas la réponse, genre je suis un gros crétin parce que je sais pas, mais genre j’en avais quelque chose à branler, si je l’emmerde il avait qu’à rester chez lui, je lui ai pas demandé de me servir. Mais bon je garde tout ça pour moi, je me dis le type vu ce qu’il me raconte il doit être complètement à l’ouest, j’ai pas envie de le provoquer, et du coup il continue son histoire, comme quoi un jour il y aurait un autre blanc qui serait passé, mais encore le gros cliché, d’abord dès qu’il y a un patron il est blanc, et puis celui-là il était obèse, genre eux ils avaient rien à manger mais le gros patron blanc et tout, OK j’ai compris on est tous des enculés on vient exploiter les Africains, j’ai envie de lui dire si t’aimes pas les blancs fallait rester chez toi, mais bref le patron ou je sais pas quoi il vient dire que s’ils veulent garder leur job il faut augmenter les cadences, moi je me dis ben oui faut bien que la boîte fasse du profit sinon t’as plus de boulot mec, en fait je sais toujours pas de quel genre de boîte il me parle mais bon c’est comme ça que ça marche, mais lui il me dit qu’ils avaient pas le choix. Et là il s’arrête, il s’essuie le visage avec les mains, mais super lentement, et un moment il y a que ses yeux qui dépassent et il me regarde et je me dis OK, là il va péter les plombs. Mais finalement il baisse les bras et il me fait un grand sourire avec ses trois dents et il me dit que son père disait qu’on a toujours le choix mais maintenant où il est, son père, hein ? Genre j’en sais quelque chose et de toute façon j’en ai rien à battre de son père.

Heureusement il se remet à verser l’essence, toujours à deux à l’heure mais bon, et il continue à me raconter que de toute façon le site a fermé et que lui est retourné chez lui mais que ça se passait mal avec son père à cause de sa sœur ou je sais pas quoi, et là je sais pas ce qui m’a pris, je sais pas si c’était genre une blague ou je sais pas quoi, mais je lui demande genre et ta mère ? Et là il s’arrête encore et il me regarde et il me dit que ça ça va prendre plus de temps qu’un plein, et moi je suis là je me dis putain quel con, du coup je lui dis désolé continuez, mais lui il me dit ma mère est morte quand on était petits. OK, je me dis, j’ai merdé, il va me raconter toute sa vie, mais coup de chance là il reprend son histoire, il laisse tomber sa mère, et il me raconte que donc il était rentré chez lui mais qu’il avait rien à faire et que genre c’était dangereux parce que il y avait une association qui s’était créée pour défendre les droits de je sais pas quoi, et que ça plaisait pas à Machin et Bidule parce que eux ils touchaient du fric, les permis c’est des commissions, c’est comme ça qu’il a dit, et du coup t’avais genre les mercenaires qui faisaient des rafles pour intimider la population, et là moi encore une fois comme un con je l’ouvre et je lui dis genre ça doit pas être aussi simple parce qu’il commence à me soûler grave avec son histoire de gros méchants, j’ai envie de lui dire réveille-toi mec t’es au vingt-et-unième siècle, t’as la mondialisation et tout on est plus au moyen-âge. Et lui il se remet à me regarder avec ses gros yeux de tarés, du coup j’essaie de rattraper le coup, genre politiquement ça doit être plus compliqué que ça sauf que forcément j’y connais rien j’essaie juste de lui dire arrête ton char quoi. Heureusement il finit par faire genre il m’a pas entendu et il continue à me raconter qu’au final il est venu en France, genre immigré politique, et là sérieusement je me tape un gros coup de flippe parce que tout d’un coup il me dit je suis venu pour me venger.

Et là silence. Moi je me dis OK c’est là qu’il me tombe dessus, mais le mec il continue genre à regarder dans le vide avec la pompe qui fait brrrmmmm, clac, brrrmmmm, clac, et moi je ferme ma gueule parce que je me dis là, c’est vraiment pas le moment de le provoquer, si le gars c’est un psychopathe, genre. Et au final il lâche, mais fallait surtout que je mange. Genre se venger, faut des forces, donc faut manger, et puis de toute façon je vais me venger sur qui, etc., du coup moi je redescends, je me dis il a dû se faire un coup de stress ou je sais pas quoi, genre post-traumatique mais en fait il va pas m’agresser, et comme je le vois qui se calme je vais dans son sens, je lui dis ben oui faut pas se laisser bouffer mais lui il comprend pas, genre se faire bouffer par quoi ? Et je lui explique, les pensées négatives, tout ça, bref j’essaie de lui faire comprendre que c’est bien, il s’est pas laissé manger par sa colère, mais lui il comprend toujours pas, genre ça mange, la colère ? et moi je commence à m’embrouiller, j’essayais de le calmer et tout mais en fait je suis en train de l’énerver presque, je m’enfonce grave parce qu’il prend tout au pied de la lettre. Heureusement il se met à tousser comme un porc, genre il crache dans son mouchoir et il s’essuie la bouche avec et il me dit que ça c’est le torchage, du coup ça me permet de changer de sujet et je lui dis ah oui, OK, vous dites comme ça, se torcher pour s’essuyer la bouche, mais bam ça repart, je vois pas le rapport, il me dit, je vous parle du torchage, et moi je me dis OK, je vais pas l’énerver, genre ils doivent faire une différence entre s’essuyer la bouche et se torcher la bouche, mais il se met à me raconter qu’il a les poumons bousillés, que Machin et Bidule ils s’en foutent de récupérer le gaz alors ils le laissent cramer et ça pollue, honnêtement je suis plus grand-chose. Puis il raconte comment il est arrivé en France, ou plutôt il me dit qu’il va pas me raconter le détail, et moi j’insiste pas, forcément, t’imagines, mais il me parle qu’il est réfugié, qu’il a rien à foutre dans son centre de réfugiés avec les autres comme lui, qu’ils attendent, qu’ils se racontent des histoires, qu’ils voient des morts, je te jure, il me dit comme ça on voit les morts, et que d’ailleurs que sans doute que son père est mort. Ça commence à devenir méchamment glauque, du coup j’essaie de changer de sujet, genre maintenant vous avez du travail, ça avance, etc., et surtout je pense mais fais-le correctement ton putain de boulot.

Mais lui il me répond pas, je me dis il a fini son histoire, je vais pouvoir me barrer, sauf qu’à ce moment-là il tourne la tête et il dit genre ah ben tiens justement, et au bord de la route t’as une gamine, une petite renoi, genre en short et en marcel, genre tiers-monde, avec je te jure je suis sûr que c’était du sang sur le marcel, et lui je l’entends qui me dit genre elle revient peut-être pour vous, et moi je suis là genre c’est quoi ce délire, et lui il me dit ah pis tiens mon père aussi en regardant par-dessus mon épaule, et je me retourne et t’as le gérant qui est sorti, du coup là je commence à me plaindre sérieusement, sauf qu’il a le bras derrière le dos et il commence à le sortir et je me dis OK il va me braquer, je m’accroupis derrière la caisse, mais en fait c’est une guitare qu’il sort, une guitare, je te jure, et moi je me dis OK c’est vidéo-gag, mais quand même je flippe parce que c’est trop chelou, et le gérant il commence à jouer sur sa guitare, genre toujours la même note, et dans mon dos j’entends une voix qui gueule, dans les vastes forêts équatoriaaaaaaales, ou un truc comme ça, je te jure je me rappelle des paroles, je me retourne et t’as la gamine à un mètre de moi en train de brailler ça, sauf qu’elle a l’air complètement droguée, genre elle a les yeux vitreux et elle tremble, et après c’est le pompiste qui se met à chanter genre on chante on danse comme on en a enviiiiiiiie, en crachant à moitié, et derrière moi t’as le père qui continue, mais parfois il faut bien gagner sa viiiiiiiiie, et je me souviens je me suis dit, OK, genre piège télé débile quoi, mais putain faites un effort sur la chanson quoi, mais sauf que je flippe quand même sérieusement, tu sais sur le coup tu sais pas quoi, je suis collé au capot surtout que t’as la gamine qui continue à me fixer comme ça, et tous les trois ils se mettent à gueuler, on n’a qu’un choix c’est d’aller chez, sauf qu’ils ont pas le temps de finir et là.

OK, là ça devient vraiment trop bizarre. Des putains de coups de feu, je te jure des coups de mitraillette, des explosions et tout, moi je me jette à terre genre le réflexe, je me dis putain ça y est l’attaque terroriste, ça me tombe dessus, du coup je suis au sol, j’ai les yeux fermés tellement je flippe, mais je finis par les rouvrir parce que je me dis quand même, et là genre à cinq centimètres de moi il y a la gamine crevée, genre la moitié du visage arrachée, et franchement ça me fait trop peur du coup je me relève d’un coup, je me rappelle maintenant il y avait plus de bruit sauf que sur le coup, tu vois, je veux rentrer dans la caisse mais j’ai encore les clefs dans le bouchon, du coup je vais remettre le bouchon, tu vois baissé et tout pour être protégé par la voiture, je sais pas si ça sert à quelque chose mais sur le coup honnêtement tu te poses pas trop de questions, j’arrive à rentrer dans la caisse, et genre je suis en train d’essayer de démarrer que t’as le pompiste qui ouvre la porte passager et qui s’assied à côté de moi, et moi genre OK je suis mort sauf que lui juste il me dit s’il vous plaît, et je me dis en fait c’est une victime aussi donc de toute façon j’ai qu’un truc à faire c’est de me barrer, sauf que là j’entends un dernier coup de feu et le pompiste il sursaute, je me tourne le mec il est affalé, du sang partout, du coup je sais plus quoi faire, genre ils vont nous exécuter un par un, et là je vois devant la voiture, je me rappelle t’avais le trou de la balle dans le pare-brise, je vois un type genre une grosse baraque sauf qu’il a le soleil dans le dos et du coup je vois que sa silhouette mais quand même je vois bien qu’il tient une mitraillette, comme ça, genre comme dans un film, quoi. Même plus j’essaie de démarrer, je me dis au moindre geste il me descend, du coup je lève les mains en l’air, mais lui il vient de mon côté, genre peinard, il prend son temps, il enjambe tranquillement un truc par terre, genre tu sais je veux pas me salir les pompes, et du coup je me rends compte que c’est un blanc, genre para ou je sais pas quoi, avec tu sais le chapeau et les lunettes de soleil, il me fait un geste pour que je baisse la vitre, du coup moi j’obéis, et là il me fait un grand sourire et il me dit genre désolé pour le bordel, faut mettre le paquet avec ce genre de vermine. Moi je reste là comme un con, je dis rien parce que de toute façon qu’est-ce que tu voulais que je dise, et lui il regarde le pompiste clamsé, il regarde le pare-brise, et il me dit que faut pas s’en faire pour la bagnole, l’assurance devrait payer, ils ont l’habitude, tout ça, et puis là genre grand sourire il me fait par contre pour l’essence on dira que c’est gratuit, hein, genre à qui tu veux que j’aille payer ? Et genre petit salut militaire, il me dit que je peux baisser les mains, et il se barre. Moi j’ose toujours pas bouger mais je le vois dans le rétro, il a rejoint trois ou quatre types comme lui, la bande de légionnaires, ils sont en train de discuter en regardant la scène, quoi, genre débrief. Je me rends compte ils vont juste se barrer, comme ça, du coup je me dis les mecs ils vont pas me laisser ça sur les bras, je sors de la voiture, honnêtement je sais plus trop ce que je fais, t’as le chef qui se retourne, celui qui m’a parlé, et je demande genre faudrait pas appeler la police, et là le chef genre il comprend pas il me fait hein, mais vous avez plus besoin de la police, c’est réglé, et moi je dis OK mais il y a des morts quand même, et lui il me répond désolé, c’est pas notre boulot, il y a sans doute les éboueurs qui passeront, et il se met à discuter avec les autres gars, savoir si les éboueurs passent ici ou si c’est qu’en ville. Mais tu sens qu’il s’en fout un peu et il finit par faire un signe au gars et ils montent tous dans un camion, genre deux devant et trois derrière, et ils se barrent. Comme ça. Ils démarrent, ils mettent le clignotant, ils laissent passer une voiture, et ils prennent la départementale.

Du coup moi forcément je me dis faut que je me barre aussi. Pas envie de, tu vois. T’as la gamine claquée à côté de la voiture, le pompiste dedans, le gérant je sais pas où. Je vais côté passager pour sortir le pompiste, et je vois le gérant par terre, du sang partout, la guitare éclatée, j’ouvre la portière, j’attrape le pompiste, mais il est plein de sang et j’ai les mains en sueur, du coup je glisse et genre je le sors qu’à moitié, il a encore les jambes dans la caisse mais le haut du corps qui traîne par terre, du coup je lui attrape les jambes pour finir de le sortir mais genre ça le replie sur lui-même, je suis obligé de lui faire faire une roulade. Honnêtement il était pas gros mais il était lourd. Bref, au final j’arrive à le sortir et je me dis putain mec t’aurais mieux fait de me laisser me servir. Je me mets au volant, je démarre, et je me casse. Je me dis je ferai un appel anonyme, et puis de toute façon les flics ils finiront par se rendre compte, il y aura bien quelqu’un qui passera à la station après moi.

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