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Billet de blog 8 décembre 2024

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Coachs: Épidémie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand les pouvoirs publics commencèrent à s’inquiéter, il était déjà trop tard. Le ratio coachs/personnes coachables était descendu sous le point où le nombre potentiel de clients peut offrir un revenu décent à chaque coach : même si le monde entier se faisait coacher, ce qui était déjà à peu près le cas, et si on répartissait équitablement cette manne entre tous les coachs existants, aucun ne pourrait en vivre. Il y avait trop de coachs, beaucoup trop de coachs. On appela cela la crise du surcoaching.

On vit bientôt apparaître, comme on pouvait s’y attendre, des coachs en surcoaching et en decoaching, ou comment se passer de coach, voire ne pas devenir coach soi-même. Mais l’inertie du mouvement était bien trop importante pour l’arrêter, sans parler d’inverser la direction. Il était devenu naturel de se faire coacher, et généralement de devenir coach dans la foulée. On coachait par habitude, dans tous les domaines : il y avait des coachs professionnels, des coachs sportifs, des coachs sexuels, des coachs culinaires, des coachs ludiques, des coachs en détente et remotivation, des coachs en pauvreté, des coachs en solitude, des coach en suicide, des coachs en thé ou café, des néocoachs, altercoachs, métacoachs et anticoachs. L’heure de coaching devint une monnaie d’échange, qui ne servait plus qu’à acheter d’autres heures de coaching. Elle connut une dévaluation rapide, et la nourriture vint à manquer.

Les coachs en famine se frottèrent les mains tandis que les coachs culinaires plongeaient et devenaient des coachs zombies, nouveau créneau qui fut rapidement saturé. Désemparé, le ministre du coaching se fit coacher pour trouver une solution, mais son coach mourut de faim, et lui-même devint coach pour anciens ministres. Personne ne voulut prendre sa place. Le président, un ancien coach qui avait été élu grâce à l’électorat coachiste, s’arrogea les pleins pouvoirs, emprisonna le précédent ministre, et décréta l’interdiction du coaching sous peine de mort. On mourut. D’anciens coachs repentis eurent beau partager des témoignages pathétiques où ils enjoignaient au monde entier de ne surtout pas tomber dans la spirale du coaching, on continua de coacher. La police tirait à balles réelles, quand les policiers ne se suicidaient pas en sortant de leur séance de coaching. La population diminua drastiquement, mais les coachs restaient en surnombre.

Il ne resta bientôt plus que des coachs qui s’entrecoachaient, se parlant avec un regard profond et commençant toutes leurs phrases par « Tu en as assez de… » ou « Vous voulez changer votre... ». Les coachs pour animaux sauvages connurent une période faste, et l’on pouvait croiser, au détour d’une clairière, un chevreuil ruminant paisiblement en écoutant d’un air distrait un coach lui expliquer comment cesser du jour au lendemain d’être une proie. Un loup passait, hésitait un instant, et tuait le coach avec un clin d’œil au chevreuil qui continuait de mâcher avec placidité. Les coachs survivalistes durèrent un peu plus longtemps, mais la disparition des coachs en reproduction leur fit cruellement défaut, si bien que les loups finirent par les avoir aussi. À la fin, il devint évident que les coachs en écologie avaient eu raison, ce qui ne les empêcha pas de disparaître, et les insectes purent tranquillement reprendre leur tâche collective, interrompue pendant quelques décennies par l’espèce humaine.

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