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Billet de blog 29 juillet 2020

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Logement, Santé et Ecologie

Reprendre la lutte pour le logement accessible à tous,

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  L’épisode de la Covid 19 s’est invité dans les analyses sur le mal-logement. Ramener à la maison son télétravail, rester confiné dans un espace qui est suffisant (ou pas) en surface et en possibilités pour chacun d’y vivre sa vie professionnelle (voire scolaire) et/ou sa vie familiale et/ou sa convalescence, tous ces faits nouveaux éclairent l’importance du logement sur la santé. Et les réflexions sur la crise du logement doivent intégrer désormais cette dimension assez nouvelle pour les spécialistes du logement : le lien entre santé pour tous et logement pour tous.

Si l’on veut se mettre à l’abri d’une crise sociale et sanitaire d’une ampleur inédite, il nous faudra analyser ce lien, le comprendre, et en assumer toutes les conséquences que cela entrainera sur la politique du logement et sur l’aménagement de nos territoires. Je voudrais montrer dans ce billet que les enjeux écologiques doivent désormais intégrer les modifications à venir de nos modes de vie, provoquées par le coronavirus.

De prochains rapports seront écrits sans doute en tenant compte de cette donnée du travail à domicile qui nécessite des espaces plus larges, gagnés par les entreprises sur leurs espaces de travail en bureaux. Je ne veux pas traiter de cet aspect futur, mais souligner seulement en préambule que le logement devrait intéresser à l’avenir plus d’employeurs ou de citoyens que jamais.

Pour cet article, je voudrais m’appuyer sur cinq récents rapports qui, bien qu’un peu longs à lire (1 233 pages au total !), valent qu’on les regarde d’assez près, tant ils mettent en relief quelques points forts qui pourraient aider utilement les maires fraîchement élus sur la base de programmes plaçant la solidarité et l’écologie au cœur des enjeux territoriaux.

1/ A tout seigneur tout honneur, et en fidèle disciple de ce grand homme, je commencerai par le Rapport de la Fondation Abbé Pierre (la F.A.P). qui fait autorité en matière de mal-logement :  389 pages pour ce 25 ° rapport publié en début d’année, après 65 ans d’un combat loin d’être gagné. On y trouve toutes les données sur les besoins, la gravité du problème des sans-abri, les risques d’expulsions qui inquiètent de plus en plus nos concitoyens pour leur propre avenir, la médiocrité d’un habitat trop peu considéré et vieillissant...

2/ Il se trouve qu’en juin 2017 un Rapport au Conseil Economique et Social :  « Comment mieux répondre aux besoins en logements dans les territoires ? »   élaboré sous l’autorité d’Isabelle Roudil avait fait une synthèse complète des multiples rapports portant depuis des années sur cette problématique. Il ne s’agit pas uniquement d’humanisme, mais de réalité sociétale dans tous ses aspects :     -    D’abord il énonce « Un apport économique majeur : 41 milliards versus 64 milliards // aides contre retours aux budgets publics ».                   

- Ensuite le rôle de ce secteur dans les investissements en France : les investissements dans le secteur de la construction ont représenté 214,5  milliards d’euros, soit 53,4  % du total des investissements en France. 57  % de ces investissements (soit 121,5 milliards d’euros) sont le fait des ménages. »

Ce rapport approuvé par les partenaires sociaux réunis au CESE présente entre autres données que le prix des terrains à bâtir est bien source d’une augmentation des coûts des logements, certes variable suivant les territoires : il est  passé  de  46  à 79 € /M2 en France dans les  10 dernières années , alors que  les terres agricoles se chiffrent à moins de 10 000 € / ha, soit 1 €/M2, voir publications SAFER.

Une marge de manœuvre à récupérer aux abords des grandes villes quand le secteur agricole manque de bras en zones plus lointaines où l’on pourrait favoriser l’installation de ceux qui voudraient vraiment vivre de l’agriculture sans attendre la plus-value sur le patrimoine qui leur a été légué. Ceci libérant des espaces, en ville, espaces verts interstitiels, ou en périphérie pour la construction de logements, même individuels puisque le prix au M2 est moindre, et l’organisation de la production plus facile à maitriser, PME acteurs majeurs de la construction. [ L’attrait des citoyens pour ce type d’habitat est indéniable et une organisation locatif pendant la vie active, propriété à la retraite serait une utopie que je suis prêt à soutenir].

 Je veux également mettre en lumière deux autres rapports émanant d’associations engagées dans la question :

3/ le Rapport Inter-associatif sur la difficulté d’accès au logements sociaux pour les plus démunis (40 signataires, et pas des moindres : D.A.L...) qui explique en 66 propositions et 171 pages les limites de la Loi DALO. Celle-ci voulait créer des priorités parmi les demandeurs et faire apparaître les responsabilités de l’Etat dans le manque de logements sociaux. Mais sans véritable effet de production supplémentaire de logements sociaux, la loi DALO ne peut remplir son objectif qu’en faisant des choix de clients, faute de logements disponibles.

Se pose donc ici la question de l’affaire dite des APL, qui est loin d’être purement symbolique. Avoir retiré aux opérateurs HLM leurs capacités d’investissement de nouveaux logements est une grave erreur qu’il faudrait corriger d’urgence, avec une attention particulière au modèle français du logement social, que l’on n’a sans doute pas su assez expliquer : c’est avec l’argent des loyers que se construisent les HLM, et au fur et à mesure que les emprunts sont remboursés, les fonds propres constitués par les loyers sur des logements anciens préparent les programmes futurs dont les loyers maîtrisés rembourseront les emprunts… Cercle vertueux qui nécessite, il est vrai, que les opérateurs ne figent pas leurs résultats financiers dans des provisions superflues, mais aient une politique du logement constructive et dynamique.

On aurait aimé que ce rapport mettre plus l’accent sur l’absence des habitants ou des associations d’aide au logement dans les Conseils d’administration des HLM , trop dirigés par les technocrates d’Action Logement (que par ma carrière je connais bien , ayant passé 10 ans au CIL de Bordeaux).

4/ Le rapport : « Pour donner à chacun le POUVOIR de VIVRE » : a pour première qualité d’être court (12 pages) mais aussi d’ajouter en signataires aux précédents rapports des syndicats et des associations de défense de l’environnement (mais toujours pas des organismes HLM !). On trouve là, et c’est heureux, les idées essentielles pour justifier une vraie politique du logement attentive à l'Écologie. C’est expliqué « pour les nuls » comme le disent des ouvrages de vulgarisation bien connus. En résumé, ce qu’on paye en loyer sort du budget des ménages de façon prioritaire, le Reste à vivre (une formule inventée par la F.A.P) s’il est insuffisant pèse sur la consommation et le quotidien du ménage. La part du logement dans le budget des plus précaires est donc trop forte, et amène à la crainte des expulsions qui est la peur majeure de trop nombreux concitoyens. Le rallongement de la trêve dite Abbé Pierre au-delà de la fin du confinement est une bonne chose, mais le problème des logements trop chers reste entier. Offrir un emploi qui de toute façon ne pourra pas permettre de se payer un logement, ou nécessitera d’y consacrer jusqu’à 40 % de petits revenus est un leurre :  on considérait pourtant, lors de la loi de 1977 que 15 % était une limite du taux d’effort à ne pas dépasser !

5/ Enfin le Rapport de la Convention Climat qui implique les élus nationaux et locaux, intégrant cette dimension écologique qui a fait son entrée en force dans nos mairies. Entre les pages 263 et 310, ce rapport traite de la THEMATIQUE : SE LOGER. Les participants au groupe de travail avaient-ils sans doute chacun un logement puisqu’ils ne parlent pas du tout du besoin d’en construire d’autres, et que les aspects de construction à faible coût y sont bien peu évoqués. Dans ce rapport, le logement y est d’abord ( ! ) vu par sa dépense en chauffage l’hiver, puis évoqué à travers la mobilité qu’il provoque puisqu’il faut bien quitter son domicile pour diverses raisons, travail ou activités diverses: c’est par là, selon les auteurs, qu’il pèse sur le climat.

Certes, mais est-ce l’essentiel de parler de rénovation ou d’isolation de l’existant sans parler de développement d’une offre accessible actuellement  insuffisante ?

Je voudrais développer ce dernier point, qui me semble crucial, d’autant plus qu’il peut heurter certaines sensibilités écologiques préoccupées de protection des territoires naturels.

Commençons par un fait indiscutable : pour construire des logements, il faut des terrains. La convention Climat insiste beaucoup sur le danger de l’artificialisation des sols que l'Écologie politique voit comme un drame :  est-ce compatible avec le besoin de fonciers pour construire des logements ? La préservation des terres agricoles agitée comme un chiffon rouge dans la recherche de foncier pour l’habitat est problématique.

Il faut bien sûr faire d’abord le tour des dents creuses de nos villes. Mais faut-il pour cela priver les villes d’espaces disponibles pour des écosystèmes naturels devenus trop rares. Mais surtout, cela développe un phénomène pervers, les rétentions de biens immobiliers : en densifiant les villes, on fait monter le prix du foncier autant qu’en raréfiant les terrains constructibles. Le prix d’un terrain augmente toujours plus vite que l’inflation et les heureux propriétaires les gardent, s’appropriant les plus-values dues aux efforts de la collectivité pour leur donner de la valeur : l’arrivée des tramways ou métros entraîne une externalité positive, comme le disent les économistes, que les particuliers encaissent de façon tout à fait abusive lors de leurs cessions. Ce ne serait pas une atteinte au droit de propriété que de distinguer le droit inviolable et sacré à conserver son bien, et de rendre à la collectivité  la plus-value lors des cessions.

En termes de transformation d’usage des sols, il est regrettable que l’on trouve dans ce refus du bétonnage des campagnes (remplacé de façon paradoxale par un bétonnage des dents creuses), au cœur du discours écologique primaire, une confusion entre le foncier pour le logement et celui destiné à toutes les activités commerciales ou spéculatives, par exemple aux centres commerciaux ou aux parcs d’activités et de tourisme. Il faut donc bien distinguer des autres, les terrains constructibles pour le logement, fussent-ils agricoles, car ils sont nécessaires à une vraie politique sociale et écologique du logement.

La mise en réserve par des ZAD (zone d’aménagement différé) et des Etablissement Publics fonciers pour le logement sont des impératifs évidents : il restera toujours de la place en France pour l’agriculture, mais pas forcément en protégeant de façon trop exclusive les terrains agricoles dans le périmètre directement proche des lieux d’activité des salariés. Un très ancien rapport au Sénat m’avait marqué disant que la France est peu dense, de nombreux territoires peuvent se permettre de densifier encore les bassins de vie urbaine, et pas seulement en empilant les logements, alors qu’on n’hésite presque jamais à le faire pour les activités commerciales (l’annulation du projet EuropaCity le 7 novembre 2019, dans le triangle de Gonesse, étant sans doute l’arbre de politique anti-bétonisation qui cache la forêt du Grand Paris).

Difficulté donc sur ce chapitre de la densification des espaces urbains : construire dense est censé réduire les déplacements, mais l’on déplorera alors l’effet de pollution dû à la ville trop dense et à la disparition dramatique des écosystèmes en ville. C’est bien une politique d’aménagement des territoires qui est en question : réfléchir à la distance logement/travail amène à travailler sur les mobilités (voitures, mais surtout transports publics et communs, vélos ou trottinettes). Et aussi à organiser la politique de l’accession à la propriété au cours de la vie active, devenue une obligation pour faire face à des retraites insuffisantes ou incertaines. Rendre au locatif son importance pour la mobilité professionnelle nécessite une politique satisfaisante pour bien des gens qui sont éloignés de leur lieu de travail et ne peuvent télétravailler.

Construire, dans une ville bien pensée et végétalisée, des logements accessibles aux salariés et proches des emplois, en cohérence avec les salaires versés, sans obliger à des trajets coûteux est un objectif qui n’apparaît guère dans ce rapport. Lequel a été retoqué sur la réduction du temps de travail qui est la seule politique permettant de compenser les importants temps de déplacements domicile-travail subis par les salariés habitant en périphérie des villes !

On le voit, la lutte pour le Climat a partie liée avec le problème du logement pour tous. Rattacher la construction aux territoires désormais très investis par les écologistes est donc pertinent sur le plan du foncier, premier matériau des constructeurs. Si cette réflexion n’est pas menée au sein des exécutifs portés par des écologistes, il y a fort à parier que les problèmes de mal-logement ne feront que croître et embellir.

Enfin, il y aurait une piste que les économistes de tous bords devraient accepter d’appuyer, aidés par les Fédérations de constructeurs ou du Bâtiment (lire la revue Le Moniteur) : on peut faire du logement le nouveau moteur de notre économie. Avec 1 ou 2 milliards par an, pompés aux constructeurs HLM, on a fait tomber de 100 000 à 70 000 logements par an les constructions de logements sociaux, alors qu’on accepte des dizaines de milliards pour soutenir les filières aéronautique ou automobile. Un logement par an, c’est un emploi, voilà déjà au moins 30 000 emplois perdus, et pourquoi ne construirait-on pas plus pour rattraper le retard de notre pays, soit 500 000 logements dit-on ? Si l’on cherche des réserves de PIB, le foncier pour le logement est une ressource largement inexploitée.

On a certes le choix, nous l’avons vu, entre mobiliser le foncier pour l’activité industrielle et commerciale, ou pour le logement. Dans les deux cas, on s’endette, mais les HLM n’endettent que leurs locataires qui sont demandeurs et solvables, alors que l’industrie traditionnelle ou les activités commerciales sont toujours soutenues au motif de l’emploi, entraînant un remboursement de dettes par tous les contribuables qui financent les plans de relance, sous une forme loin d’être déterminée et sûrement pas pérenne comme le sont les remboursements de crédits immobiliers !

C’est donc un appel aux économistes pour approfondir cette question du logement et aux nouveaux élus : même si la compétence logement dépend de l’Etat, les Ecologistes, désormais aux manettes dans les grandes villes particulièrement touchées par la crise du logement, devront s’investir dans cette thématique que le Plan Climat n’a pas correctement pris en compte avec pourtant cet objectif remarquable mis en exergue : « SE LOGER ».

Comptons pour y parvenir sur nos nouveaux élus en mairies, sensibles aux dimensions sanitaires, sociales et écologiques de nos existences, chacun sur son territoire mais en bonne intelligence avec les élus des territoires voisins ! Pensons global, mais agissons local, tous ensemble pour un meilleur logement et un meilleur mode de vie.

Paul Latreille,  technicien HLM  , auteur de  «La question du Logement, Guide d’approche d’un problème complexe » …

 Jean LATREILLE, agrégé de Sciences Economiques et Sociales, auteur de « Merci les pauvres ! »

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