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Billet de blog 30 mai 2015

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Se Loger en France", b) est-ce économiquement viable ?

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Les économistes, et par conséquent les médias, ne sont pas très diserts sur la question du logement, l'affaire des subprimes en a été une triste illustration : où vivent les millions d'américains qui ont été chassés de ces fameux logements, détruits pour la plupart ? A notre connaissance, il est paru peu d'articles sur ce thème, social autant qu'économique : ces expulsés ne sont pas tous sous les ponts, et doivent bien encore payer quelques loyers...

Il parait donc utile pour trouver des pistes d'action de remonter aux fondamentaux : la loi de l'offre et de la demande n'est discutée par personne, et les points de blocage dans la production ou la distribution peuvent être analysés sans esprit partisan. Loi qui doit prendre en compte une offre disponible à une demande financièrement accessible. Trois points essentiels doivent actuellement retenir l'attention.

 D'abord que la finance peut faire face, et l'Economie réelle y gagnera : les démonstrations sont complètes et précises, ce n'est pas le lieu ici d'approfondir ce point qui nécessitera seulement vigilance en  cas de réformes éventuelles sur l'équilibre général du secteur. Attention donc aux réformes en cours, sur l'APL  comme sur le livret A ( un dispositif qui a permis la création d'un important parc social, et que les banquiers aimeraient mobiliser pour d'autres fins ).

Ensuite, quand les auteurs de l'ACMIL analysent  les "besoins", ils démontrent une demande largement présente ; les monographies sur diverses régions montrent bien ce qui sera  dit en conclusion : nécessité de relancer une politique d'aménagement du territoire, de mener une politique de réserves foncières....Cette approche par des territoires tests vaut d'être examinée sur tous les lieux, une politique du logement est forcément territorialisée.

Du côté de l'offre et de son rapprochement aux capacités de la demande existante, cet ouvrage insiste dès son premier chapitre sur l'élément clé de la formation des coûts : le terrain à bâtir, première cause de la pénurie et donc d'un coût de production trop élevé.

 Le secteur du logement a besoin de sa matière première, le foncier. Un rapport au Conseil Economique et Social  (2002, rapporteur Thierry Repentin) a depuis longtemps pointé que la France a de la place et que les sols existent. Reste à en affecter suffisamment à l'habitat, et ne pas répéter à l'envi les slogans anti-urbanisation qui s'expriment trop souvent : la préservation des " terrains naturels et agricoles" fait un amalgame permanent et sans discernement entre l'outil de production de l'agriculture et le cadre de vie ; le slogan de "la disparition d'un département par décade" semble la fin du monde ; le  "bétonnage" et "l'étalement urbain" ne sont que des concepts mal dominés pour refuser d'affronter le besoin d'espace que le rural possède encore quand la ville est contrainte, au point de renforcer la spéculation. 80% de ruraux autrefois, 80% d'urbains désormais, il est peut-être possible de rééquilibrer les attributions d'espaces, en fonction des territoires et des bassins de vie...

Reste à faire un travail de fond sur le troisième aspect, la dimension écologique : le logement n'est pas seulement un espace consommateur de chauffage,  bien d'autres aspects doivent être mis en perspectives et discutés : coût des ascenseurs dans les charges et leur coût global, installation-maintenance, captation chlorophyllienne en fonction de la densité urbaine, problème de la mobilité et du rapprochement emploi/habitat, temps de travail et déplacements des urbains, travailleurs ou retraités, part des déplacements de loisirs en week-ends ou pour les loisirs... 

Toutes les mesures à prendre pour trouver le terrain nécessaire à une vraie politique du logement sont urgentes : il faut arrêter la surenchère que crée la concurrence des promoteurs entre eux, le public perdant toujours sur le privé qui se donne le droit de faire monter les prix en s'intéressant surtout au haut de gamme. On doit donc sans doute arrêter l'aide aux investisseurs privés qui peuvent bien se contenter de jouer avec leur propre marché, puisque c'est leur credo libéral. Halte aux Scellier, Pinel et autres aides tant que la fluidité du marché foncier ne permettra pas d'avoir un approvisionnement pour des logements à prix accessibles.  Et veiller à ce que les utopies de terrains publics mobilisables ni des mesures conjoncturelles sensées inciter les propriétaires à se décider n'oublient que les régimes politiques changent, et qu'un propriétaire foncier peut toujours attendre un mandat politique plus favorable avant de vendre. Tant il est vrai que ce qui rapporte le plus depuis toujours est bien de posséder du foncier qui se revalorise chaque année bien plus que les actifs, boursiers ou autres.

Il faut donc parler de la valeur des sols à bâtir et leurs taxations, et c'est même le premier chapitre de l'ouvrage de l'ACMIL cité dans mon premier billet : on pourrait protéger le droit de propriété qui resterait "inviolable et sacré" sans pour autant admettre que les vendeurs conservent à leur seul profit une plus-value qu'ils n'ont rien fait pour l'obtenir, sauf d'attendre et de geler les  sols ! Les auteurs le notent : de 20 à 60 centimes d'€  au m2, le terrain à bâtir en résidentiel vaut, du fait des aménagements environnants financés par de l'argent public, 56 € soit 100 fois plus! Rien ne doit empêcher quiconque de garder sa propriété familiale certes, mais à son prix de base, la plus-value due à l'urbanisation environnante et aux services que la collectivité a apportés n'a rien à faire dans le coût de la propriété. Est-il impensable d'isoler la part de base, et celle qu'il faut bien classer comme enrichissement sans cause?

Cet aspect d'une injustice fiscale notoire a  déjà été dénoncé en termes autant juridiques qu'éthiques. La "Revue foncière" a montré dans sa livraison de septembre 2014 que le Brésil, lui,  savait capter les plus-values. Or nos quinquennats précédents ont pris sur ce plan là des mesures fiscales particulièrement regrettables : celui  qui sait attendre pour libérer de l'espace est fort peu taxé, l'article 54 de la loi SRU l'avait pourtant proposé mais n'est guère plus appliqué que le célèbre 55  dont les communes ont droit de s'extraire en payant ! Un comble du droit dans un pays démocratique.

Le Monde du 10 février a pointé la commune où je réside comme un triste exemple négatif en la matière : c'est  Charbonnières dans le Rhône,  citée par Jean Paul Bourgès dans un billet d'hier, où les élus ne s'aperçoivent même pas qu'il se vit des choses fortes dans ses murs, tant l'indifférence y est reine ! Une équipe municipale qui a élu un maire au motif que lui au moins saura s'opposer aux logements sociaux. Mixité sociale ? Il faudra en parler prochainement.

Il est certain que les politiques auront toujours du mal à prendre de sévères mesures, ils sont très en retrait sur un combat pour le logement, car ils savent qu'ils risquent d'y perdre des voix : un maire bâtisseur est un maire battu, l'adage se vérifie à chaque élection communale. Il est donc urgent que l'on aille plus loin encore dans le transfert des décisions d'urbanisme (PLUH, classement des sols et  permis de construire) non seulement aux intercommunalités mais au-delà : pourquoi pas vers l'échelon de la Région qui pourrait valablement mener une politique de réserves foncières pour les 30 ans à venir.

Une remarque pointée dans les multiples rapports cités conclura mon propos : le problème du logement est une action de long terme, de la décade, voire plus. Le combat politique est d'échéances plus courtes, 4 / 5/ 6 ans : ceci explique que les candidats aux élections s'intéressent fort peu au problème du logement. Les grands courants économistes ou  humanistes, eux, doivent le soutenir.

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