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Billet de blog 8 février 2019

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Le centre de détention de Casabianda, paradis pour violeurs ?

En plein cœur de la Plaine orientale de la Corse, le centre de détention de Casabianda, sur la commune d'Aleria est une des seules prisons ouverte de France. Longtemps considérée comme un modèle, l'été dernier des événements ont terni sa réputation.

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Près d’Aleria, une dizaine de personnes travaillent sur une longue route bordée de platanes centenaires. "On est bien ici. C’est le paradis, on a tout ce qu’il nous faut ", lâche un homme d’une quarantaine d’années, tête rasée, vêtu d’un simple tee-shirt blanc sali par les copeaux de bois. Comme tous ceux qui l’entourent, il purge une peine au centre de détention de Casabianda. La seule prison ouverte de France. Pas de murs d’enceinte, une plage de sable fin et 1500 hectares pour vaquer à des activités censées permettre la réintégration. Pas même un fil de fer barbelé pour dissuader. Une prison modèle depuis 1948 qui accueille essentiellement des détenus condamnés pour des crimes sexuels intrafamiliaux. Au fil des décennies, l'établissement a même gagné un surnom : " le club Med des pointeurs". En référence au pédophiles qui sont majoritaires dans la prison. Le fleuron des centres de détention français. Du moins, jusqu’à cet été 2018, où deux incidents à moins d’une semaine d’intervalle ont jeté l’opprobre sur l’établissement. Même la presse nationale s'en est faite l'écho.

Illustration 1
Le centre de détention de Casabianda © Paul-Mathieu Santucci

 "J’ai travaillé dans plusieurs régions de France et j’ai connu les prisons de Fleury-Merogis, les Baumettes et Borgo", explique Philippe Franchini, surveillant à Casabianda depuis vingt ans et délégué syndical STC (Sindicatu di i Travagliatori Corsi),  ici, c’est le jardin d’Eden."
Ici, les surveillants ne se baladent pas dans les couloirs en faisant tournoyer les trousseaux de dizaine de clés. Les détenus sont presque en liberté. Certains ont même des chats de compagnie qui rentrent et sortent, librement eux-aussi, des cellules par des chatières. Et puis, les prisonniers travaillent. "Le centre compte une exploitation agricole où les prisonniers sont présents de manière quotidienne. Ils cultivent, font de l’élevage et sont payés. Les seules plaintes que l’on entend portent simplement sur les salaires ", ajoute Philippe Franchini. Le salaire varie entre 200 et 300 euros par mois contre une moyenne de 800 euros dans les autres établissements français. Le prix à payer pour être enfermé dans un cadre " paradisiaque". Le prix du calme. A la moindre incartade, au moindre défaut de comportement, les détenus sont illico renvoyés vers des prisons classiques. " Il y en a un qui s’est saoulé la semaine dernière et il cherchait des noises à tout le monde. Ils l’ont directement transféré au centre pénitentiaire de Borgo ", se souvient Philippe Franchini qui ajoute : "Si ça marche aussi bien, c’est parce que les détenus ont été sélectionnés. Aucun n'est violent dans l'enceinte. Celui qui n’est pas revenu de sa permission n’avait rien à faire ici. Il n’avait pas le bon profil."
Sollicitée, la direction du centre n'a pas donné suite.

Développer ce type d’établissement ?

Si les incidents de Casabianda tombent mal, c’est aussi parce qu’ils interviennent en pleine période de discussion autour de la réforme des prisons voulue par Emmanuel Macron. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a d’ailleurs présenté, en octobre dernier en conseil des ministres, son plan prison qui vise à réduire la surpopulation carcérale de 8000 personnes. Dans le plan, on retrouve le projet de construire deux centres de détention supplémentaires axés sur le travail. Sur le même modèle que Casabianda. "L'idée est très bonne", indique Amid Khallouf, de l'observatoire international des prisons (OIP) qui agit pour le respect des droits en milieu carcéral. Il détaille : "C'est un peu inspiré des prisons scandinaves. La sécurité y est moins élevée, ça permet d'utiliser les moyens ailleurs car l'installation d'infrastructures sécurisées coûte extrêmement cher."
Néanmoins, le représentant de l'OIP insiste sur la philosophie des prisons basées sur le travail : "Ce qui ne nous convient pas, c'est le fait de baser toute la détention sur le travail. C'est essentiel mais il doit être un simple accessoire de la peine." Il est 18 heures, la sirène du centre de détention retentit durant quelques minutes. La journée de travail est terminée, les prisonniers peuvent se détendre. Soit en bord de mer près d'une canne à pêche, soit dans une cellule entièrement équipée (télévision, radio, machine à café...). Ils n'ont que l'embarras du choix.

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Nicole Belloubet accompagnée du Préfet de Haute-Corse en visite au centre de détention © Paul-Mathieu Santucci

Deux incidents inédits en deux semaines

Si la prison de Casabianda se présente comme un modèle, l'été dernier, le mythe est tombé. En moins d'une semaine, le centre de détention a dû faire face à deux incidents. Le premier, une évasion, dont le but du détenu était, d'après une , de se suicider. Le deuxième, un prisonnier en permission dans la ville de Saint-Étienne, qui ne s'est pas présenté et a été considéré, suivant la procédure, comme "évadé".

Tout commence le 22 août dernier, à la nuit tombée, quand un corps est retrouvé sans vie, flottant à deux kilomètres au large de l’étang d'Urbinu, sur la commune de Ghisonaccia, en Plaine orientale. Très vite, l'hélicoptère de la gendarmerie qui survolait la zone s'en approche. La dépouille est un homme recherché depuis deux jours. Lorsque le surveillant pénitentiaire de la prison de Casabianda commence à faire l'appel le 21 août, à 17 h 45, un détenu ne répond pas. Il n'est pas là. Personne ne sait où il est. "Les prisonniers ont le droit de se promener jusqu'à la mer et d'y passer un moment jusqu'à 21h. Alors, on s'est dit qu'il avait sûrement du retard ", indique l'un des surveillants, présent ce jour-là. D'après une source, l'homme avait été aperçu par des vacanciers en bord de mer.

Dans l'heure qui suit, la brigade de gendarmerie de Ghisonaccia se rend sur place avec d'importants moyens. En tout, une trentaine d'hommes sillonnent les 1500 hectares de la "prison ouverte ". Équipe cynophile, hélicoptère, hommes à pied, brigade à cheval, le secteur est grand. Caroline Tharot, procureure de la République ne privilégie aucune piste mais concède : "Il peut s'agir d'un suicide."
Condamné en 2014 pour des faits de viols aggravés à douze années de réclusion criminelle par la cour d'appel de Meurthe-et-Moselle, l'homme aurait dû terminer sa peine en 2021. Il ne faisait l'objet d'aucun rapport d'incident depuis son arrivée à Casabianda. Pour l'heure, si la thèse du suicide par noyade est privilégiée, une enquête est toujours en cours. Une autopsie, dont les résultats ne sont pas encore connus, a été pratiquée. "La justice a interdit son incinération et il a été enterré. On ne sait jamais, l’enquête peut nécessiter qu'on doive l'autopsier encore une fois ", murmure un surveillant.

Interpellé à Saint-Étienne

Quatre jours plus tard, un homme de 43 ans, en permission, ne se présente pas au centre de détention. " Le profil est différent de l’autre détenu. Celui-ci a été condamné pour des faits de vol aggravé. Nous avons mis tous les moyens nécessaires afin qu’il soit retrouvé ", indique Caroline Tharot. Très vite, l’affaire a été confiée à un juge d’instruction. L'homme a été localisé et interpellé par la brigade de gendarmerie de Saint-Étienne, quatre jours plus tard, en pleine nuit, près d’un hôtel. D’après Philippe Franchini, délégué syndical STC, "il n’existe aucun lien entre ces deux incidents. Ce n’est que du pur hasard. "
Selon le surveillant, ce dernier détenu, en raison de la nature des faits reprochés, n'aurait pas dû être incarcéré à Casabianda : "Il n'avait rien à faire là. C'était presque prévisible ".

Paul-Mathieu Santucci pour Corse-Matin

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