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Billet de blog 1 janvier 2023

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Patate dans le système

Billet au titre un tantinet accrocheur.

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Qui voudrait, de nos jours, jeter une bouteille à la mer se verrait fort dépourvu ; métaphoriques ou non des bouteilles à la mer il y en a tant. Et quand bien même quelqu'un se trouverait à l'autre bout de la rive guettant ce que les marées peuvent rapporter cette personne aurait-elle assez de courage et de convictions pour continuer à ramasser tant et tant de contenants vides ? Mais pourtant pas vides de sens ?

Qu'importe ! Vous êtes à l'autre bout de la rive et j'ai le sentiment d'avoir à vous écrire. Si vous lisez ces lignes c'est que votre œil s'est posé sur ma bouteille et que; de la pression d'un doigt, vous en avez retiré le bouchon de liège. Déroulant le parchemin vous découvrez alors cette histoire que j'ai à vous raconter qui vous parle des gens de notre temps.

C'était le confinement et je me rendais au kebab, pour ainsi dire chez mon maître kebabier. Ici n'est pas le lieu pour débattre du fait de manger de la viande ou non et je m'étais déjà arrangé de multiples manières avec ma conscience en refusant la plupart du temps de manger à emporter dans des barquettes en polystyrène où en refusant des sachets plastiques que l'on me tendait. Entré dans le local, déclinant le salut par pression mutuelle des mains et me voyant rétorquer qu'il "fallait bien mourir de quelque chose", je fus le témoin d'une discussion désormais gravée en moi à tout jamais.

Celui qui appelle tout le monde chef qu'on appelle chef en retour, un homme très sympathique au demeurant, faisait la discussion à ses clients.

- La patate c'est vraiment pas cher en ce moment ! Avec les prix qui se sont cassés la gueule à cause du confinement... ! 3 euros les 10 kilos, disait-il à l'assemblée réunie autour d'odeurs d'oignons frits.

- Mais bon, même si c'est pas cher poursuit-il, faudrait les éplucher !

J'aimerai pouvoir vous retranscrire à quel point, à ce moment là, en mon coeur tout s'est éffondré ; mais à quel point, aussi, j'ai saisi tout le chemin que nous avons à parcourir pour changer le monde.

Nous vivons dans un monde où  nombre de lieux de restauration se refusent à l'idée même d'avoir à éplucher des pommes de terre. Si tant est que quelqu'un ai décrété un jour qu'il fallait absolument éplucher une patate pour en faire de bonnes frites, je vois en tout ceci un symbole fort des maux de notre temps. Vous le verrez, l'un des piliers de ma philosophie passe par l'assiette et le simple fait de manger est immensément créateur de déchets.C'est pourquoi, dans mes rêves les plus fous j'image la gauche, ou même pas d'ailleurs, s'approprier le thème de la patate pour tendre vers un autre monde.

A considérer les choses dans leur ensemble sans trop s'attarder sur la monoculture mortifère pour la biodiversité, l'exemple du simple commerce de la patate est criant de vérité pour notre monde. Les sacs en toile de jute d’antan ont d'abord laissé place à des contenants en plastique striés que l'on peut retrouver à l'occasion dans la nature. De perenne ils sont passés à "one shot". Dès la dernière patate retirée du sac le sac est voué à la déchèterie. Mais ce n'est même pas ce volet là que cette histoire questionne.

Un large pan de notre système de restauration est ainsi fait que la division du travail, n'ayons pas peur de le dire, a été beaucoup trop poussée. Les intermédiaires entre le producteur et l'assiette se sont multipliés, faisant certes vivre beaucoup plus de gens sur une activité, mais conduisant à des hérésies environnementales. La pomme de terre, qui est un produit qui se conserve somme toute très bien, est désormais épluchée et conditionnée industriellement dans des sachets plastiques pour être "prête à l'emploi" en restaurant. Le réflexe d'ouvrir un sachet plastique en restauration est devenu beaucoup trop répandu. Ode à la patate ! Nous n'avons jamais mangé de frites aussi facilement mais très peu de gens savent désormais en faire convenablement.  Trouver une bonne frite relève d'un chemin de croix. Le frite surgelée n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Les hérésies environnementales en cuisine sont nombreuses : en témoignent quelques œufs déjà écaillés attendant patiemment dans une boite en plastique.

Voici venu le temps, alors, d'introduire une notion qui reviendra sans cesse : la réappropriation de la peine. Il n'est rien de plus noble que d'éplucher sa patate soi même et les gens de notre temps doivent être conduits en ce sens. Ô glorieux restaurateur qui te donne la peine.

Cette simple question de la patate est si transversale qu'elle est en mesure de chambouler notre vision du monde. Ne se contentant pas de questionner notre cœur elle nous invite à réfléchir notre mode d'organisation, les notions d'offre et de demande, la consommation énergétique globale, la livraison des denrées sur le territoire. J'en suis  arrivé à la conclusion que la noble volonté que le consommateur soit un sain régulateur de marché était pour l'instant une chimère tantôt utilisée par une idéologie ultra-libérale pour justifier la continuité d'une chose existante ou un doux rêve d'esprits peu être un peu trop optimistes qui voudraient que les humains progressent tous et drastiquement vers une gestion écologique des choses. Répétons-le : ça serait oublier que le marché a fait du consommateur ce qu'il est : un consommateur.

Les combats ont besoin de symboles : cette pomme de terre peut en être un, la tomate peut en être une autre. Mais voici le problème qui nous guette. Tendre vers monde où tous les restaurateurs et tous les particuliers se détourneraient de la frite surgelée nous conduirait vers, pense-t'on, ce que notre système ne supporte pas et qui pourrait potentiellement ébranler les fondations de nos sociétés : la décroissance. Parce que le niveau de consommation énergétique globale est lié au taux de croissance n’importe quelle réduction de consommation dans n’importe quel secteur est en mesure de conduire à un ralentissement économique qui, sans protection sociale ou stratégie étatique forte, pourrait avoir de lourdes conséquences sur le niveau de vie général de la population.

Nous n'en sommes ici qu'à la présentation des bases de ma philosophie et des symboles qui l'inspirent. Tout ceci n'a qu'un seul but : que tout à chacun en voyant une frite désormais se questionne à savoir si elle a eu besoin d'être conditionnée sous plastique dans des frigos ou non. Nous avons un besoin urgent de simplicité.

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