Elle me disait hier,
- Tu as vu le nombre de fleurs sur les arbres ? Nous aurons beaucoup de fruits cet été.
Et je pensais à haute voix,
- Pour l'instant je n'ai vu aucune abeille, et si elles ne venaient pas ?
C'est rigolo la nature. A l'observer on pourrait croire que la fougue de la jeunesse est une loi universelle. En quelques années j'ai remarqué que les jeunes pousses, enfants de l'arbre mère, fleurissent beaucoup plus tôt que le mastodonte qui trône dans notre jardin. Le vieil arbre lui, marqué par les mousses et les champignons comme pourrait l'être le visage d'un vieil être humain par les rides, les cicatrices ou quelques tâches marrons, prend son temps. Peut-être est-il plus lent ? Peut-être est-ce l’expérience ? Peut-être donne-t'il quatre fois moins de fruits que les jeunes pousses mais comme ils sont bons ! Ô si vous pouviez les goûter ! J'en donnerai volontiers un à chaque être humain sur cette Terre comme pour dire "je t'aime".
C'est rigolo la nature. Nous autres êtres humains, dans un monde où l'union des êtres se fait d'un consentement libre et éclairé, devons nous plaire. Dans tout le règne animal et pour ce que j'en sais chez les insectes aussi. Femelles et mâles doivent séduire en se pavanant, en se battant parfois, en chantant, miaulant, rugissant, selon des codes esthétiques, olfactifs voire énergétiques. La procréation se fait par un lien que l'on pourrait qualifier de "direct".
C'est rigolo la nature car les plantes elles, pour se reproduire, semblent devoir plaire non pas à un individu du sexe opposé mais à une espèce tierce. Un arbre ne doit pas plaire à un autre arbre : il faut que le nectar de ses fleurs fasse le bonheur d'une abeille, d'un pollinisateur quelconque, d'un lémurien sautant de fleurs en fleurs à se lécher les babines se délectant de sucrosité. N'existe-t'il pas, de notre point de vue, procédé plus précaire que de confier la survie de son espèce à une autre ? Pourtant le procédé a fait ses preuves.
Aujourd'hui je n'ai peut-être pas à me languir que des abeilles viennent butiner les fleurs de mes jeunes pousses car ce matin nos terres furent recouvertes d'un voile blanc que l'on appelle "la neige". Les fleurs survivront-elles jusqu'au véritable printemps ? Des abeilles en reste-t'il seulement ? Peut-être hibernent-elles encore ? Ou bien sont-elles toutes mortes la saison dernière à encore sucer des néonicotinoïdes ?
Il existe aux États-Unis d'Amérique, chez ceux dont on dit qu'ils sont à l'avant-garde du monde, de vastes monocultures d'amandiers. Nul biodiversité se trouve là-bas. Le monde entier doit être conscient de ce qui suit : ces amandiers pour donner des fruits n'ont pas tant besoin d'une tierce espèce que d'une quatrième. Du fait des hommes, par là-bas, on transporte d'un bout à l'autre du pays des milliers de ruches dans des centaines de camions pour polliniser toutes les fleurs. C'est alors que l'on mesure la gravité de la chose. Que l'on mesure, dans notre système actuel, la fragilité de notre subsistance.
Ainsi si j'étais Catherine de Médicis et que j'avais à écrire une lettre à Monsieur mon fils voici ce que je lui dirai : tout gestionnaire d'un État qu'il soit homme ou femme seul.e, ou le peuple souverain, voulant assurer la subsistance alimentaire de son peuple, devra en arriver à considérer la moindre ruche comme son bien le plus précieux. C'est une nouvelle donne stratégique pour les États.
Mais peut-être qu'aucune abeille ne pourra butiner les fleurs des jeunes pousses qui auront gelé. Et peut-être que cet été notre subsistance viendra des vieux arbres qui, fort de leur expérience, n'auront pas fleuri trop vite.