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Billet de blog 11 mai 2023

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Essai contre la tonte.

Pourquoi tondre son jardin est-il la norme ? Pourquoi notre vision de la beauté a-t'elle été tronquée au point de considérer une terre tondue à ras comme belle ? Alors que c'est la conduire vers la sécheresse et un état de mort biologique ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La véritable folie c'est de tondre alors que l'été arrive. La véritable folie c'est de se soucier du regard des autres, eux qui pourraient penser que cette famille est négligente parce qu'elle n'a pas sa pelouse au carré.

Voici, pour l'instant, ma plus grande contribution à ce monde : laisser le bout de Terre dont ma mère est propriétaire tel quel. Le covid nous l'a appris : sans intervention humaine la nature se porte comme un charme.

Ainsi commence à se terminer la phase d'observation d'un jardin en friche : en comprendre les mécaniques, apprendre où se situent les zones d'ombres, en distinguer différents biotopes. C'est, par exemple, ce bout de terrain orienté au nord d'un mur où poussent du houx, des violettes et des ronces. On dirait de cet endroit qu'il se comporte comme un sous bois. On dirait d'un autre, orienté plein sud, qu'il serait semi désertique en été.

Quelle idée d'avoir des ronces dans son jardin ? La question se pose jusqu'à ce qu'on en ai consommé les fruits. Par soucis d’honnêteté il faudrait avouer qu'une partie du chemin qui m'a conduit ici a été semé de flemme accompagné de remise en cause des modèles établis. Pourquoi tondre son jardin est-il la norme ? Pourquoi notre vision de la beauté a t'elle été tronquée au point de considérer une terre tondue à ras comme belle ? Alors que c'est la conduire vers la sécheresse et un état de mort biologique ? Je crois aujourd'hui que la véritable flemme c'est de ne se soucier de rien et d'aller au plus vite en coupant tout ce qui dépasse. C'est "facile" de tondre, c'est carré. Puis on y gagne la tranquillité d'esprit à ne plus se soucier de ce que les autres pourraient penser de nous : le travail est fait.

N'en déplaise je "collectionne" ici la biodiversité. C'est dans mon jardin que viennent se réfugier les limaces, les escargots, les coccinelles et insectes en tous genres. A chaque poignée de terre vous trouvez des lombrics. Et souvent vous pouvez observer les vols furtifs des petits oiseaux de passage ayant trouvé ici une terre propice où se reproduire pourvu qu'ils esquivent les chats qui rodent, prêts à la leur sauter dessus à la moindre occasion. La nature est brut, paradis et enfer s'entrechoquent. Moins je suis prédateur de mon environnement plus la nature leur offre des mulots à qui courir après. Noé n'a t'il pas lui même ouvert la porte de son Arche à des loups ?

Bien sûr, maintenant qu'une part de mon rêve est accomplie, il me faut concilier tout de même avec les vœux de ma mère. Si je suis émotionnellement lié à ma friche il semble que je sois le seul pour lequel le bonheur est corrélé à la grande profusion des espèces qui l'entourent. Le sien, même s'il l'est d'autant plus à mesure que des violettes poussent, s’accommoderait bien d'agencement. Voici mon prochain défi : arriver à fournir un cadre à ma nature sauvage. Et y incorporer quelques poireaux, quelques carottes sans renverser l'équilibre naturel de ce jardin. Aujourd'hui ce sont quelques fraisiers que j'ai planté, première étape vers un autre de mes rêves : consommer quelque chose que j'ai contribué à faire pousser.

En définitive tout ceci est un acte politique. C'est la première de mes prises de positions. Si je me suis débattu d'arguments pour ne pas tailler un arbre c'est parce qu'il fait désormais office d'ombrelle devant une fenêtre pour les chaudes journées d'été. Il semble que nous allons tendre vers un monde où l'ombre et le frais seront, sinon des marchés, des besoins vitaux en été. Comme un feu de charbon dans une maison mal isolée en hiver.

Ne pas tondre c'est préserver l'humidité du sol beaucoup plus longtemps. Ne pas tondre c'est investir dans son capital naturel. Ne pas tondre c'est donner l'occasion à la nature de donner sa pleine mesure et de se renforcer en vue de conditions climatiques moins favorables. Ainsi lorsque les chaudes journées d'été parviendront les plantes robustes seront capables de "rendre" une partie de leur eau dans l'air et de nourrir celles qui les entourent.

Ce n'est qu'une intuition mais d'une part si les conditions climatiques conduisent à une baisse des rendements agricoles pour les Etats, il faudra nécessairement que d'avantage d'individus soient capables de faire pousser des plantes (là où 1% de la population nourrit les 99% restants aujourd'hui).

D'autre part si à mesure que les fronts chauds progressent et les masses d'air chaudes menacent des territoires entiers de désertification il faudra que les êtres humains travaillent à ériger des corridors écologiques pour regagner de l'espace sur le désert. La France est une terre fertile pour peu que l'on s'en occupe bien.

Redonner sa place à la nature c'est être une tache d'encre, c'est lui permettre de se répandre. Et lorsque mon écoanxiété me rattrape à la vue de mes voisins tondant leur pelouse me vient parfois une irrépressible envie de rire à les imaginer s'arracher les cheveux en voyant toutes les graines de pissenlit qui s'envolent jusque chez eux les jours de vent.

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