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Billet de blog 20 octobre 2012

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Martine Aubry rattrapée par l'amiante

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il conviendrait de replacer son comportement, comme celui de bien d'autres, dans le contexte de l'époque.

Se passer de l'amiante, c'était se condamner à retourner au Moyen Age, le même argument que nous entendons aujourd'hui, à propos du nucléaire, de la part de politiciens et de syndicalistes de tous bords soucieux de ne pas perdre leur clientèle, des salariés légitimement inquiets du risque à court terme de perdre leur emploi. Pour le long terme, ce sera à d’autres de plus tard s’en débrouiller.

Selon les prédictions d'alors sur les conséquences de son abandon, depuis quinze ans qu’il est enfin interdit  nos paysans devraient avoir repris leurs chevaux ou leurs bœufs pour les travaux des champs, nous ne circulerions plus qu’en carrosse, en fiacre ou en diligence, et au lieu d’assister aux 24 heures du Mans aux côtés de son Premier ministre, notre  précédent Président eut arbitré des courses de chars aux Arènes de Lutèce.

Le lobby de l'amiante était soutenu à l’époque par tous les syndicats des travailleurs concernés, les Corses défendaient leur mine d’amiante de Canari dont les plages voisines s’en sont trouvées polluées et tous les élus du Nord, dont bien sûr Martine Aubry, leur usine Eternit de Thiant près de Valenciennes, où un monument aux morts de l’amiante fut érigé en 2003, comme il en existe également à Port-de-Bouc et à Condé-sur-Noireau. Moi-même, dans les années 50, ingénieur commercial chez Ferodo (aujourd’hui Valéo) dans le Service Industries Diverses, j’avais toujours dans ma serviette de nombreux échantillons de produits amiantés dont je cherchais en parfaite bonne conscience à développer les multiples applications. Dans mes cours à l’Ecole des Mines de Nancy, j’avais vaguement entendu parler de l’asbestose, mais pas autant que de la silicose, et de toute façon c’était un problème qui semblait circonscrit à son extraction et pouvait se régler à ce stade. J’ignorais comme presque tout le monde à l’époque que déjà l’on avait décelé des contaminations parmi le personnel employé au façonnage de ce matériau et chez certains utilisateurs. Pendant des dizaines d’années, à cause en particulier de la longue incubation de la maladie, mais aussi sous l'action ou l'inaction d'un puissant lobby et de ses complices, le problème put être occulté, retardant son interdiction et même la mise en œuvre à son encontre de réglementations trop contraignantes. N’ayant fait qu’une brève carrière chez Ferodo, c’est seulement beaucoup plus tard que je découvris l’ampleur des dégâts.

Au lieu de déclarer l’amiante irremplaçable et alors que certains en connaissaient parfaitement les dangers, mieux eût valu sans doute chercher le plus rapidement possible les solutions de remplacement que l’on a fini par trouver. Pour ceux qui s’intéressent davantage aux conséquences économiques qu’aux conséquences humaines, indiquons que le FIVA (Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante) a déjà déboursé plus de 2 milliards d’euros depuis une dizaine d’années qu’il a été créé, dont près des 9/10 prélevés sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité Sociale, et que le désamiantage de la seule Université de Jussieu a aussi déjà coûté dans les 2 milliards.

Même en excluant l’éventualité d’autres catastrophes comme celles de Tchernobyl ou de Fukushima, on ne sait pas non plus ce que le nucléaire coûtera réellement au final rien que pour démanteler les anciennes centrales et traiter tous les déchets radioactifs et l’on ne s’en soucie pas plus que l’on ne se souciait à l’époque du coût du désamiantage. Notons que les Allemands, souvent cités comme modèles, ne partagent pas du tout cette crainte de revenir au Moyen Age. Ils semblent au contraire avoir fait le pari de satisfaire leurs besoins avec uniquement des énergies renouvelables, non polluantes et non dangereuses en améliorant celles déjà connues ou en en cherchant d’autres, un passionnant programme pour leurs chercheurs. Et de quoi apporter durablement du travail à leurs industries.

Il serait certes utile, concernant l'amiante, d'ouvrir chez nous un procès comme l'ont fait les Italiens pour établir les responsabilités, connaître qui savait, quelles ont été les compromissions et les imprudences sciemment commises sans lesquelles il eût été possible d'arrêter beaucoup plus vite ce fléau. Mais il faudrait surtout ne pas recommencer les mêmes erreurs concernant le nucléaire.

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