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Billet de blog 30 mars 2020

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Suspension migraineuse.

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Jour 8. 24/03/2020 Suspension migraineuse. Inquiétudes et colères.
1100 morts en France, dont 240 ce jour. Confinement prévu jusqu’à début avril.
 Tout s’est tellement agité cette dernière semaine : agitation cérébrale, agitations des réseaux sociaux, agitations des groupes whatsapp, agitations médiatiques et politiques. On s’inquiète de nos proches seuls. On s’inquiète de nos amis déjà affectés dans leurs vies personnelles. On s’inquiète pour nos proches soignants. On s’inquiète de nos ainés. C’est qu’avec l’interdiction des visites dans les hôpitaux, s’il leur arrivait quelque chose, jamais je ne les reverrai ?
On s’inquiète du monde qui se révèle. On s’inquiète des plus défavorisés. On s’inquiète des femmes battues, des SDF, des migrants, des intérimaires, des prostituées, des prisonniers. On s’inquiète de ceux que personne ne peut aider. On s’inquiète de ceux que l’on est en train d’oublier. A qui n’ai-je pas pensé ? On s’inquiète des délations des voisins. On s’inquiète de tout. De tout le monde. Tout le temps. On pense Corona, on vit Corona, on rit Corona.
Tout mérite une explication, une opinion, une prédiction. Tout est sujet à discussion, interrogation, suspicion. Suis-je prudente ou paranoïaque ? Il nous faut alerter les réticents sans créer de prostration. Il nous faut rassurer les angoisses sans les délégitimer. Il nous faut prévenir les insouciants sans anxiété. Que dire sans moraliser ? Quelles pensées valent la peine d’être partagées ? On n’ose plus parler de peur de répéter, de se répéter.
On culpabilise quand on sort faire une course. On culpabilise de rester à ne rien faire. Comment ne devenir qu’un coupable innocent ?  Quelles sont nos possibilités d’actions face à ce sentiment de culpabilité ? Comment ne pas faire partie des irresponsables ? On tente de s’organiser sans se replier dans notre sphère privée afin de se protéger des bouleversements multiples. Comment suivre les informations, rester en contact avec la réalité du monde sans se sentir submerger par la catastrophe qui nous met face à notre impuissance ? Nous nous devons simplement de rester chez nous. #Stayhome. Alors on attend. On attend comme jamais les JT de 20h. On attend les prochaines recommandations. On attend les chiffres. Combien de morts aujourd’hui ? En en Italie ? Combien n’ont pas été comptabilisés car non-dépistés ? Comment s’accommoder de la réalité ? Les émissions de radio nous apprennent à rentabiliser le temps qui est, témoignant de notre « besoin de rester occuper à tout prix, [d’] un désir insatiable de trouver quelque chose à faire à toute heure du jour. »[1] Et si je n’ai pas envie d’être à la hauteur de ce confinement ? J’entends les oiseaux chanter mais je ne vois pas la beauté du printemps arriver. Le temps ne me semble pas long mais agité. Je ne ressens pas l’ennui, ni ne discerne d’utopies.
Tout s’agite. Tout s’intensifie. On s’énerve d’appartenir à l’humanité. Cette humanité qui mange un pangolin. Cette humanité qui invite à interdire dans l’Aisne la vente d’alcool fort dans les commerces afin d’éviter les violences intrafamiliales. Cette humanité qui, en quête de masques, pille les voitures des infirmiers. On s’énerve pour s’énerver. On s’énerve devant les discours politiques, leur manque de clarté, leur mauvaise foi, leur absence d’humilité. On s’énerve devant tant d’injustices face au confinement. On s’énerve de tous ceux qui continuent à travailler sans pouvoir se protéger. Pour alimenter quoi ? des supermarchés. On s’énerve de ne pouvoir aider. On s’énerve de s’énerver. La colère et la honte.
Le bruit des sirènes résonne. Tout s’agite tellement partout et tout le temps, que ma pensée s’est, elle, d’un coup, suspendue. Le vide. Comme si le cerveau s’était crispé, mis en congé. Il tourne le dos au monde qui continue de s’emballer même à « l’arrêt ». Aujourd’hui « je reste chez moi » semble-t-il affirmer.

[1] Hannah Arendt, « Après le nazisme : les conséquences de la domination » (1950), tr.fr. Claude Habib, Penser l’événement, sous la direction de Claude Habib, Editions Belin, 1989, p.60.

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