La semaine dernière, l’édition new-yorkaise du magazine Time Out proposait une liste des cinq événements les plus marquants de l’été. En tête du classement, avant l’installation A Subtlety de l’artiste Kara Walker au cœur de l’ancienne usine Domino de Brooklyn, avant aussi le retour de la sandale Birkenstock dans les magasins de la ville, venait l’édition 2014 de la Coupe du monde de football. En quelques phrases, le magazine décrivait comment, pour la première fois peut-être, la Coupe du monde avait cette année intéressé tous les New-Yorkais. Elle s’est invitée dans les bars, dans les foyers. Elle a fait son entrée dans l’espace même de la ville, retransmise en direct sur des écrans géants à Times Square et sous le pont de Brooklyn. A New York, 2014 restera donc l’année où le foot est devenu un sport reconnu, plébiscité, branché. L’occasion pour nous de revenir sur une soirée match dans la Grosse Pomme.
Il est 17h30, Bianca, une jeune Roumaine installée à New York depuis l'enfance reçoit ses amis pour suivre le match États-Unis-Portugal. Autour de sa télévision, écran mural, elle a rassemblé des coussins et de confortables fauteuils. Elle a prévu les boissons et vivres nécessaires. Elle ne sait pas exactement combien d’invités attendre. Nombreux sont ceux qui ont promis de convier d’autres amis à l’événement.
Maria est la première à passer le pas de la porte. Portugaise, elle vit dans le New Jersey depuis une dizaine d'années. Elle est accompagnée par son mari, Bill, un Anglais et leur fille Laura de deux ans. Suivront April, Brandon et Matthew, tous Américains, Anna, née à Taïwan et Mélanie une Française séjournant à New York depuis quelques mois. Multiculturel, à l'image de cette ville cosmopolite, le groupe prend place autour de l’écran. « Qui est pour les États-Unis ? » demande Matthew. Quelques mains se lèvent. Les Européens restent fidèles au Portugal.
Première mi-temps. On regarde le match d'un œil distrait. On parle du Brésil, des dépenses du gouvernement pour organiser la compétition, de la chaleur que subissent les joueurs. On évoque Cristiano Ronaldo et les accusations de racisme qui le touchent actuellement dans la presse. Bianca rappelle à ses amis certaines règles de base du jeu, le temps supplémentaire, le hors-jeu. Elle leur parle également du Ballon d’Or et de l’élection de Ronaldo. On boit du vin, on picore des fromage placés sur un large plateau, on goute des pâtisseries portugaises. Le Portugal marque. Maria est contente et regarde ses opposants d'un air amusé.
La mi-temps donne aux convives l’occasion d’échanger sur plusieurs sujets. Bianca et April, qui travaillent toutes deux dans le secteur de l’édition, comparent les politiques de publication de leurs employeurs. Mélanie et Anna retracent leurs parcours depuis les dix années où elles ne s’étaient pas vues. Elles ont toutes les deux un enfant. Mélanie regrette de ne pas avoir emmené son fils. Il aurait pu jouer avec Laura. John, le compagnon de Bianca organise une visite de l’appartement. On reste longtemps dans l’espace bibliothèque où l’on échange sur les dernières sorties et sur les romans marquants de ce début d’été.
Deuxième mi-temps. Le public se fait plus attentif. Le groupe d'Américains soutient son équipe et ose quelques commentaires sur le jeu. « Ils ont progressé depuis le match contre le Ghana ». Les États-Unis égalisent. Cris de joie. « Voilà qui devient intéressant ! » s'exclame April. Deuxième but ! Maria perd toute espérance. « Je ne verrai jamais les Portugais gagner cette coupe ». On rit devant le maquillage des supporters présents au stade. On s’esclaffe lorsque les caméras dévoilent dans le public un admirateur déguisé en Theodore Roosevelt. On se moque des joueurs qui semblent simuler la douleur après une chute. La sonnette de l’interphone retentit. Matthew se lève et revient avec un assortiment de sushis. Il fait passer le plateau parmi les convives. On enchaîne sur une dernière bouteille de vin rouge.
Dernier but du Portugal. Silence. Celui-là, on ne l'avait pas vu venir. Les convives se regardent un peu éberlués. Match nul. « On a sauvé les meubles » s’exclame Matthew. « Au football, il faut toujours être vigilant. Jusqu’à la fin. » ajoute Brandon « Sinon voilà ce qui peut se passer ».
Fin du match. Tous se lèvent et remercient leur hôte. Ils sont ravis de leur soirée. « J'aime de plus en plus le football » déclare April et « j'adore que les règles soient si simples ! » « Viens regarder la finale avec nous » lui dit Bianca. Le rendez-vous est pris.
Les convives descendent les quatre étages qui les séparent de la rue. Devant l’immeuble, on fait le point sur les itinéraires à suivre pour rentrer chez soi. Ils habitent aux quatre coins de la ville. Mélanie, la Française, quitte le groupe la première. Elle vit dans le quartier et n’a qu’un parc à traverser. Les autres se dirigent vers le métro. Au pied de l’immeuble d’en face, un groupe d’hommes est assis. Ils jouent aux échecs. Derrière eux, une télévision visible par la fenêtre, retransmet les commentaires d’après match.
Pauline Guedj