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Un "décès prématuré", selon le Haut Conseil de la Santé publique, est un décès survenu avant l’âge de soixante-cinq ans. L’année dernière, environ 55 000 hommes et femmes sont décédés d’un cancer avant leur retraite, parfois même bien avant.[1] Ce chiffre n’a rien d’extraordinaire : depuis dix ans, la France compte au moins 51 000 décès prématurés par cancer chaque année.[2] Soit plus de 500 000 morts ces dix dernières années.
Ce chiffre, nous l’ignorons tous. Contrairement au covid-19 émergent, le cancer est devenu endémique ; il ne révolte plus. ll est un grand absent du débat public.
Des chiffres sans visage
Un visage, parmi tant d’autres : celui de Frédéric. Il était ingénieur. Il avait trente-six ans et deux enfants auxquels il tenait plus que tout. Il adorait le foot et le rock. Il se passionnait pour l'histoire. Frédéric mangeait ses cinq fruits et légumes par jour et ne fumait pas. Le 19 février 2012, pourtant, Frédéric est mort du cancer. Un sarcome de la cuisse. Cela n’arrive qu’aux autres : ça lui est arrivé.
C’était il y a dix ans. Depuis, plus d’un demi-million de décès supplémentaires et de familles endeuillées. Qui en parle ? Quand on parle du cancer, on se sent souvent gêné. C’est presque un tabou. On baisse les yeux. On fuit. Si nous arrêtions de fuir, nous pourrions commencer à éviter ces morts prématurés. La pandémie actuelle révèle ce qui est possible quand nous en avons la volonté.
L’innovation
Une façon de combattre ces chiffres serait d’appuyer la recherche. Actuellement, la recherche médicale en France manque de moyens. Le marché français n’attire plus. Ce n’est pas par manque de compétences ou de talents : à titre d’exemple, en collaboration avec une start-up américaine, NOVOCURE, des experts français de neuro-oncologie ont contribué activement au développement d’implants électriques, totalement innovants dans le cadre du glioblastome. Il nous manque cruellement de telles innovations thérapeutiques « made in France » concernant le cancer aujourd’hui.
Notre pays est aussi ralenti par une lenteur réglementaire qui nous empêche de mettre de telles innovations en marche. La découverte de NOVOCURE, l’OPTUNE, validée par la communauté scientifique, a fait l’objet d’une publication en 2017 dans JAMA (Journal of the American Medical Association), une revue médicale américaine faisant autorité. Pour quel résultat ? L’OPTUNE est disponible aux Etats-Unis depuis 2017, en Allemagne depuis 2020[3] (alors que les Allemands n’ont pas participé à la recherche), mais les patients français n’y ont toujours pas accès. Alors qu’à l’heure de la mondialisation, le dernier James Bond, qui s’appelle Mourir peut attendre, est sorti à l’automne 2021 aux quatre coins du monde, les négociations autour de thérapies cruciales pour combattre le cancer se font à une autre vitesse que celles de nos voisins et partenaires.
Le dépistage
Le dépistage, en revanche, on en parle davantage. Il est un axe majeur de la lutte contre le cancer. Nous connaissons toutes « Octobre rose ». Cette campagne promotionnelle contre le cancer du sein, comme le dernier dépistage généralisé, l’hémocult contre le cancer colorectal qui date de 2009, pourrait servir de modèle pour élargir enfin le champ d’action. Le récent dépistage massif du covid-19 pour lequel, sur le seul mois de décembre 2021, la Sécurité sociale aurait remboursé un milliard d’euros de tests[4], témoigne de ce qui est possible quand on s’en donne les moyens.
Les facteurs environnementaux
Fumer tue : nous avons compris le message présent sur les paquets de cigarettes. Au-delà des comportements à risque, la Fondation ARC spécialisée dans la recherche contre le cancer a identifié des facteurs industriels et environnementaux, notamment des polluants d’origine physique ou chimique, des ondes électromagnétiques, des agents infectieux. Que fait-on de cette identification ? Quels actes et gestes barrières sommes-nous prêts à adopter vis-à-vis de ces risques ?
Donner la priorité à la santé publique et faire face aux risques cancérogènes dans notre quotidien exigent une cohérence dans les faits et dans les actes.
Un geste politique
Ce que nous demandons aujourd’hui, à la veille de la Journée mondiale contre le cancer, tient en un seul mot : le courage. Le courage politique de s’attaquer enfin, de front, au cancer. La volonté d’y mettre les moyens ; le courage de bousculer nos habitudes. Car il est urgent de faire barrière à cette maladie chronique. Et parce que c’est une évidence : la santé doit être un axe majeur du prochain quinquennat. Pour que la mort de notre cher Frédéric et de tous ses compatriotes décédés prématurément d’une tumeur maligne ne devienne pas quelques gouttes d’eau parmi tant d’autres à venir.
Cher Président, chers candidats à la présidentielle, quel avenir voulez-vous pour notre jeunesse ? Il est temps de prendre une position claire pour que nous ayons tous le moins de chances possibles de faire partie de ces futurs décès prématurés.
La réponse est politique et publique. Nous attendons une réponse courageuse et précise.
Pauline Husy et Julien Dômont

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[1] Institut National du Cancer, Santé Publique France
[2] Institut National du Cancer, Santé Publique France : estimation à partir des données disponibles, car contrairement au covid-19, les chiffres ne sont pas disponibles en temps réel.
Hscp.fr, Donnes.e-cancer.fr, Fondation ARC
[3] Novocure.com
[4] Les Echos, 04/01/2022