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Billet de blog 10 novembre 2019

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La sublimation des invisibles

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il n'y a pas d'armistice quand dans nos sexes, nos ventres et nos coeurs le combat fait rage et qu'il demeure invisible. Pour nous, les victimes de pédophilie, il n'y aura pas de paix envisageable tant que nous ne serons pas écoutés.ées, tant que notre parole ne sera pas reçue, encore et encore, pour lever cette chape de plomb qui pèse socialement et génère de nouvelles victimes chaque jour, cette chape de plomb qui est celle d'un silence qui dérange et où les monstres sont d'autant plus voraces. 

Au moment de #Metoo, j'ai rêvé d'un mouvement similaire pour dénoncer non pas les violences sexuelles faites aux femmes, mais celles faites aux enfants, garçons et filles. Ce mouvement n'est pas arrivé. En tant que victime je suis restée recluse dans ma solitude quotidienne, mais à présent nous avons l'ouverture médiatique qu'a suscité Adèle Haenel, et une première prise de parole publique, nécessaire et bouleversante. Je tiens ici à saluer son courage, sa sincérité et la pertinence de ses propos, et à lui dire un grand merci pour ce qu'elle nous offre: la possibilité de mettre en lumière un tabou encore présent dans notre société, et la possibilité de participer à cette prise de parole, même avec les faibles moyens médiatiques dont nous disposons, nous les invisibles. 

Depuis le live diffusé sur Mediapart où l'actrice revenait sur ce qu'elle a subi de l'âge de 12 ans à l'âge de 15 ans, je ne me sens pas tranquille. Adèle m'a touché, et plus encore elle est venue me chercher. Là où je n'osais pas m'engager jusqu'à présent, c'est-à-dire dans le fait de donner une voix à mes maux, Adèle est venue me montrer à quel point c'est indispensable. Elle est venue me donner une leçon de force et de courage que j'espère enrichir de mon propre témoignage. Comment ? Par la poésie. Pourquoi ? Parce qu'étant dépourvue de tout pouvoir médiatique, je me suis dit que ma parole pourrait être puissante si elle était celle de tous les démons que mon cousin pédophile a fait naître en moi. C'est la démarche qui anime "Les Fragments" dont est issu le poème que j'ai décidé de partager ici. 

Je suis Astralis, j'ai 31 ans et depuis peu je commence à vivre. J'ai été violée à l'âge de six ans, avec beaucoup de douceur, en conséquence de quoi j'ai développé un trouble dissociatif de la personnalité qui m'a empêché de mener une vie convenable jusqu'à présent. Ces troubles sont passés inaperçus aux yeux de mes proches, et je me suis également enfoncée dans la boucle infernale du trauma sans comprendre ce que je vivais. Il est tout à fait récent pour moi de mettre les mots justes sur un passé aux errances et violences psychotiques, et sur ce chemin où la poussière est un chaos qui scintille, je continue de tisser chaque jour une constellation de poèmes. La puissance des faibles c'est la patience de l'art, et mon art est escrime. Maladroit parfois, du fond des abîmes toujours. Que chacun puisse en mes poèmes trouver son propre mouvement rythmique, c'est tout ce que je souhaite. 

La nuit est une ombre tenace

Un vol de rapaces dans la chair éhontée

Où tous les viols interdits ont laissé des traces

Des déchirures affamées dans le sein de l’oubli

La nuit est une ombre rapace

Une plaie dévorante nichée au sein de l’exil

Cette désertion des violences nues et coriaces

Disparition du corps dans la disparité sans fil

Où l’esprit se tord, se perd, se noie, se distille.

Ma nuit est une armée de sang qui frappe

Entre terre d’espoirs et chute du désir

Un calame trempé dans l’encre du désespoir

Où brûler du papier est mon ivre soupir

Ma nuit est un livre écarlate

Une bible de rage et de cris vertébrés

Quelques pages abîmées par le Styx et l’orage

Par l’acide et les trouées de mes mots refusés

Ma pluie est une coulée de l’Euphrate

Dans les strates éprouvées par ma parole hurlante

Une tombée de grâce dans la boue et l’asile

Où solitude et poésie superbement mènent la danse

Sur le pavé rugueux où tant de jours ont collé

A même la peau du temps de vastes rêves empilés

Je contemple le vide immense dont ma vie est présence

Je constate le vice inerte dont ma nuit est constance

La percée dans mes entrailles ouvre une vieille prison rance

Une cathédrale mutique où nul entre qu’Orphée

Où nul œuvre que le sombre au cœur du creuset

Le sombre roi de mes frondes, de mes assauts affermis

Par les volutes et les lances de ma jouissance exaucée

J’ai dans le cœur une épine enflammée

Une écharde plantée où le rythme ose

Enfoncer dans les tumultes et les heurts de mon encre

Une rose pour y suinter l’essence où la beauté s’épanche :

Elle verse un verset pour quelques pétales éphémères

Emportées dans l’océan de mes émois familiers

Puis se baigne ivre dans mes fantasmes délétères

Y recueillant l’onction au large océan de mes cris !

Un long temps j’ai bu l’eau croupie du Léthé

Noyant les réminiscences de mes peines soumises

A l’envahissement constant de mon enfance recluse

Mon enfance refuge refus radeau dérive

Dans le flux du chaos où s’effacent tous les dires

Toutes les rives du Réel pour n’en saisir que l’impasse

L’impossible appel dans ma nuit de rapaces.

Ma nuit est une pluie d’or fin dans la ruine

La rumination champêtre dans le charnier du temps

Ce songe versé dans les tranchées et les veines

Où mon cœur affolé se suicide en chantant

Dans la douceur coupée de 1000 bruits occultes

Où l’humanité reine en mes ardeurs crée un culte !

Ma nuit est une horloge arrêtée où sévit le tyran

Celui-là que mon cœur tait et que mon sexe blême

Subit nuit et jour dans les furies de ma haine

Parce que jouir de douleur est plus propice à l’enfance

Sacrifiée sur l’autel d’un plaisir vicié et cruel

Cette voie lactée d’un monstre dans le ressac mutant

Des va-et-vient insistant dans l’embouchure de mes peines !

Ma nuit est une parole brûlée au bûcher quotidien

De toutes ses mains posées dans la trouée interdite

Sur la bouche et sur les reins réduisant tous mes rites

A la mort obligée sauf par ma plume prescrite

Pour raviver la vie au tranchant de mes quatrains !

Ma nuit est une pluie d’or fin dans le mirage

De ce monde-miroir sans fin aux vifs sillages

Qui plongent et enfantent dans le passage des jours

La persistance hautaine où survit pourtant l’amour

Subsistant d’air, de feu et de vives passions

Dans les marées de mes nausées, de mes saines pulsions

Dans les circonvolutions complexes de mon phrasé

Qui tourbillonnent vers le ciel

Lorsque mes profondeurs harponnent

La duelle densité où toutes mes foudres tirent leur fiel !

Sur la chair de mon monde brûlé

Je lèche la rosée des matins nouveaux

La gelée qui laisse le silence se repaitre

Des spectres lâchés hors de l’austère tombeau

Que ma culpabilité mange étant assassine

Car ils vivent la vie bien réelle

Hante mon corps ploient mon échine

Par les savantes humeurs réduites au point G

Où les perversités sinueusement prennent racine

Jusqu’à l’éclatement l’ardeur et l’appel des cimes

L’averse du Réel effarant effrayante effraction fragmentée…

Dans le chaos synoptique où mon âme est entrée

Je goûte le plaisir, la honte, la volupté, la haine

J’effeuille les complaintes de mes émois embrassés

Je brasse le temps de ma subversive animalité

Et je masturbe mes peines par mon encre souveraine !

J’y épouse les entrailles par la guerre dépecées

Que naguère les mythes mirent au contrepoint du jouir

Pour faire courir nos leurres dans le sépulcre brassé

Ce lieu des saintes misères que seul l’Amour sait bénir.

J’ai goûté la triste frénésie

Visité les reliefs du désespoir

Ces recoins du temps plié

Où survit l’ogre vorace d’un soir

Celui-là dont la faim intime

Intime de ne rien laisser choir

Ni les pleurs ni les cris ni les craintes

Ces hiéroglyphes de foutre sur le fil du rasoir.

Fragment premier, par Astralis. 

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