Il n'y a pas d'armistice quand dans nos sexes, nos ventres et nos coeurs le combat fait rage et qu'il demeure invisible. Pour nous, les victimes de pédophilie, il n'y aura pas de paix envisageable tant que nous ne serons pas écoutés.ées, tant que notre parole ne sera pas reçue, encore et encore, pour lever cette chape de plomb qui pèse socialement et génère de nouvelles victimes chaque jour, cette chape de plomb qui est celle d'un silence qui dérange et où les monstres sont d'autant plus voraces.
Au moment de #Metoo, j'ai rêvé d'un mouvement similaire pour dénoncer non pas les violences sexuelles faites aux femmes, mais celles faites aux enfants, garçons et filles. Ce mouvement n'est pas arrivé. En tant que victime je suis restée recluse dans ma solitude quotidienne, mais à présent nous avons l'ouverture médiatique qu'a suscité Adèle Haenel, et une première prise de parole publique, nécessaire et bouleversante. Je tiens ici à saluer son courage, sa sincérité et la pertinence de ses propos, et à lui dire un grand merci pour ce qu'elle nous offre: la possibilité de mettre en lumière un tabou encore présent dans notre société, et la possibilité de participer à cette prise de parole, même avec les faibles moyens médiatiques dont nous disposons, nous les invisibles.
Depuis le live diffusé sur Mediapart où l'actrice revenait sur ce qu'elle a subi de l'âge de 12 ans à l'âge de 15 ans, je ne me sens pas tranquille. Adèle m'a touché, et plus encore elle est venue me chercher. Là où je n'osais pas m'engager jusqu'à présent, c'est-à-dire dans le fait de donner une voix à mes maux, Adèle est venue me montrer à quel point c'est indispensable. Elle est venue me donner une leçon de force et de courage que j'espère enrichir de mon propre témoignage. Comment ? Par la poésie. Pourquoi ? Parce qu'étant dépourvue de tout pouvoir médiatique, je me suis dit que ma parole pourrait être puissante si elle était celle de tous les démons que mon cousin pédophile a fait naître en moi. C'est la démarche qui anime "Les Fragments" dont est issu le poème que j'ai décidé de partager ici.
Je suis Astralis, j'ai 31 ans et depuis peu je commence à vivre. J'ai été violée à l'âge de six ans, avec beaucoup de douceur, en conséquence de quoi j'ai développé un trouble dissociatif de la personnalité qui m'a empêché de mener une vie convenable jusqu'à présent. Ces troubles sont passés inaperçus aux yeux de mes proches, et je me suis également enfoncée dans la boucle infernale du trauma sans comprendre ce que je vivais. Il est tout à fait récent pour moi de mettre les mots justes sur un passé aux errances et violences psychotiques, et sur ce chemin où la poussière est un chaos qui scintille, je continue de tisser chaque jour une constellation de poèmes. La puissance des faibles c'est la patience de l'art, et mon art est escrime. Maladroit parfois, du fond des abîmes toujours. Que chacun puisse en mes poèmes trouver son propre mouvement rythmique, c'est tout ce que je souhaite.
La nuit est une ombre tenace
Un vol de rapaces dans la chair éhontée
Où tous les viols interdits ont laissé des traces
Des déchirures affamées dans le sein de l’oubli
La nuit est une ombre rapace
Une plaie dévorante nichée au sein de l’exil
Cette désertion des violences nues et coriaces
Disparition du corps dans la disparité sans fil
Où l’esprit se tord, se perd, se noie, se distille.
Ma nuit est une armée de sang qui frappe
Entre terre d’espoirs et chute du désir
Un calame trempé dans l’encre du désespoir
Où brûler du papier est mon ivre soupir
Ma nuit est un livre écarlate
Une bible de rage et de cris vertébrés
Quelques pages abîmées par le Styx et l’orage
Par l’acide et les trouées de mes mots refusés
Ma pluie est une coulée de l’Euphrate
Dans les strates éprouvées par ma parole hurlante
Une tombée de grâce dans la boue et l’asile
Où solitude et poésie superbement mènent la danse
Sur le pavé rugueux où tant de jours ont collé
A même la peau du temps de vastes rêves empilés
Je contemple le vide immense dont ma vie est présence
Je constate le vice inerte dont ma nuit est constance
La percée dans mes entrailles ouvre une vieille prison rance
Une cathédrale mutique où nul entre qu’Orphée
Où nul œuvre que le sombre au cœur du creuset
Le sombre roi de mes frondes, de mes assauts affermis
Par les volutes et les lances de ma jouissance exaucée
J’ai dans le cœur une épine enflammée
Une écharde plantée où le rythme ose
Enfoncer dans les tumultes et les heurts de mon encre
Une rose pour y suinter l’essence où la beauté s’épanche :
Elle verse un verset pour quelques pétales éphémères
Emportées dans l’océan de mes émois familiers
Puis se baigne ivre dans mes fantasmes délétères
Y recueillant l’onction au large océan de mes cris !
Un long temps j’ai bu l’eau croupie du Léthé
Noyant les réminiscences de mes peines soumises
A l’envahissement constant de mon enfance recluse
Mon enfance refuge refus radeau dérive
Dans le flux du chaos où s’effacent tous les dires
Toutes les rives du Réel pour n’en saisir que l’impasse
L’impossible appel dans ma nuit de rapaces.
Ma nuit est une pluie d’or fin dans la ruine
La rumination champêtre dans le charnier du temps
Ce songe versé dans les tranchées et les veines
Où mon cœur affolé se suicide en chantant
Dans la douceur coupée de 1000 bruits occultes
Où l’humanité reine en mes ardeurs crée un culte !
Ma nuit est une horloge arrêtée où sévit le tyran
Celui-là que mon cœur tait et que mon sexe blême
Subit nuit et jour dans les furies de ma haine
Parce que jouir de douleur est plus propice à l’enfance
Sacrifiée sur l’autel d’un plaisir vicié et cruel
Cette voie lactée d’un monstre dans le ressac mutant
Des va-et-vient insistant dans l’embouchure de mes peines !
Ma nuit est une parole brûlée au bûcher quotidien
De toutes ses mains posées dans la trouée interdite
Sur la bouche et sur les reins réduisant tous mes rites
A la mort obligée sauf par ma plume prescrite
Pour raviver la vie au tranchant de mes quatrains !
Ma nuit est une pluie d’or fin dans le mirage
De ce monde-miroir sans fin aux vifs sillages
Qui plongent et enfantent dans le passage des jours
La persistance hautaine où survit pourtant l’amour
Subsistant d’air, de feu et de vives passions
Dans les marées de mes nausées, de mes saines pulsions
Dans les circonvolutions complexes de mon phrasé
Qui tourbillonnent vers le ciel
Lorsque mes profondeurs harponnent
La duelle densité où toutes mes foudres tirent leur fiel !
Sur la chair de mon monde brûlé
Je lèche la rosée des matins nouveaux
La gelée qui laisse le silence se repaitre
Des spectres lâchés hors de l’austère tombeau
Que ma culpabilité mange étant assassine
Car ils vivent la vie bien réelle
Hante mon corps ploient mon échine
Par les savantes humeurs réduites au point G
Où les perversités sinueusement prennent racine
Jusqu’à l’éclatement l’ardeur et l’appel des cimes
L’averse du Réel effarant effrayante effraction fragmentée…
Dans le chaos synoptique où mon âme est entrée
Je goûte le plaisir, la honte, la volupté, la haine
J’effeuille les complaintes de mes émois embrassés
Je brasse le temps de ma subversive animalité
Et je masturbe mes peines par mon encre souveraine !
J’y épouse les entrailles par la guerre dépecées
Que naguère les mythes mirent au contrepoint du jouir
Pour faire courir nos leurres dans le sépulcre brassé
Ce lieu des saintes misères que seul l’Amour sait bénir.
J’ai goûté la triste frénésie
Visité les reliefs du désespoir
Ces recoins du temps plié
Où survit l’ogre vorace d’un soir
Celui-là dont la faim intime
Intime de ne rien laisser choir
Ni les pleurs ni les cris ni les craintes
Ces hiéroglyphes de foutre sur le fil du rasoir.
Fragment premier, par Astralis.