Depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, Pékin affirme clairement ses prétentions : devenir la première puissance sur la scène internationale. Cela passe entre autre par deux projets : d’une part, le lancement des nouvelles routes de la soie, pour que l’ancien empire du milieu devienne le carrefour commercial du monde, d’autre part, la construction d’une grande Chine, qui serait à la fois la première puissance maritime et mondiale, à travers l’intégration de territoires qu’elle revendique.
L’hypermilitarisation chinoise
Grâce à une expansion militaire marine accélérée, Pékin a intensifié sa pression en mer de Chine du Sud, d’abord en équipant de missiles et de radars des îles dont elle revendique la souveraineté, puis en produisant des incursions répétées dans la zone économique exclusive de Taïwan et au large des iles Spratleys, riches de pétrole, du gaz et de la plus grande ressource halieutique de la région. Si la sinisation a commencé il y a presque 40 ans avec Hong Kong et il y a 70 ans avec le Tibet, la réintégration de Taïwan est la préoccupation fondamentale de la RPC depuis 1949, puisque l’île se trouve dans la sphère d’influence américaine et japonaise. L’objectif à l’horizon 2049 est d’établir une ligne de défense à hauteur d’Hawaï.
Cette région que la Chine commence à militariser, on la nomme aujourd’hui l’Indo-Pacifique. Il s’agit d’une espace politique et stratégique, avant d’être géographique. En effet sa délimitation, variable en fonction du pays qui la désigne, rassemble néanmoins couramment sept membres du G20 (Afrique du Sud, Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon). Dans un communiqué, le Parlement Européen annonce ceci “la région indopacifique et l’Europe représentent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services (…) Les échanges commerciaux entre la région indopacifique et l’Europe sont plus importants qu’entre n’importe quelles autres régions géographiques du monde [puisque] leur valeur annuelle a atteint 1 500 milliards d’euros en 2019.”
Les alliances bâtissent leur défense
Pour faire face aux tensions stratégiques croissantes générées par cette militarisation chinoise, les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni signent en septembre 2021 une alliance de défense baptisée AUKUS. Il s’agit d’un vaste partenariat en matière de sécurité, de cyberdéfense, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques, destiné à freiner l’influence chinoise. Conséquence de ce contrat, l’Australie a abandonné l’accord de fourniture de sous-marins français, d’une valeur de 55 milliards d’euros, en faveur de submersibles nucléaires américains. Officiellement, Canberra craignait que les sous-marins français, à propulsion conventionnelle (diesel-électrique), ne soient plus adaptés à ses besoins. La vérité est que la France, est plus généralement l’Europe, étaient déjà hors-jeu à partir du moment où leur position vis-à-vis de la Chine est non-alignée avec celle que nourrissent les USA.
Alors que la défense est une prérogative strictement nationale, cette affaire a suscité une réaction d’une ampleur européenne, notamment parce qu’elle arrive à peine quelques semaines après le retrait américain de Kaboul, qui a contraint ses alliés à les imiter. En effet, l’engagement militaire des alliés des États-Unis au sein de l'OTAN, tout comme l’évacuation de leurs civils, dépendaient de la logistique et de l’appui aérien des États-Unis.
Ce moment avait déjà sonné un signal d’alarme pour une Europe qui semble ainsi se diriger vers une position de plus en plus critique envers ses accords américains, de plus en plus perçus comme unilatéraux. D’autant qu’AUKUS n’est pas la seule alliance militaire à se former autour de l’Indo-Pacifique, en l’absence de l’europe. Le 24 septembre 2021, Joe Biden en signait un second, avec le Japon, l’Inde, et l’Australie, pour isoler davantage la Chine. Celle-ci a été baptisée QUAD. Ces alliances, desquelles est exclue l’Europe, expriment le désaccord des deux pôles sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Chine, les USA considérant l’hexagone trop accomodant avec Pékin, et déplorant qu’il ne les suivent pas, avec l’Australie, dans une politique plus défiante, plus autoritaire, vis à vis du géant asiatique. Cet évincement pourrait être le symptôme du début de la fin d’une collaboration de part et d’autre de l’Atlantique.