Représentant un dixième de l’économie du pays, employant entre 2.4 et 2.7 millions de personnes, regroupant les associations, fondations, mutuelles, coopératives et entreprises sociales françaises, l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) est un acteur-clé de la vie socio-économique française. Ce mode d’entreprendre, qui conjugue but non lucratif et gouvernance démocratique, possède son propre cadre juridique depuis la loi Hamon du 31 juillet 2014. À l’occasion de l’anniversaire de sa décade, le secteur en a profité pour promouvoir l'idée d'une loi de programmation, qui engagerait l'État sur une politique de soutien et de développement. Quelques semaines plus tard, le Premier ministre Michel Barnier déposait le Plan Loi et Finances 2025, qui retentit comme un cri d’alarme pour tout le secteur.
Un nouveau tournant de la rigueur
Le 3 février 2025, le Premier ministre François Bayrou a engagé la responsabilité de son gouvernement en employant pour la 115e fois de l’histoire de la Ve République l’article 49.3 de la Constitution, afin d’adopter le Plan Loi et Finances pour l’année 2025 sans vote direct à l’Assemblée. Déposé quatre mois plus tôt par son prédécesseur Michel Barnier, le plan avait été rejeté par l’Assemblée. Et pour cause, si Public Sénat qualifie ce plan d’«effort parmi les plus sévères de la Ve République», Le Monde établit un parallèle entre ce plan et le budget du tournant de la rigueur mené par Jacques Delors.
Pour Antoine Armand, ex-ministre des Finances, ce budget se justifie par la nécessité de «protéger la signature de la France, et plus largement pour assurer notre stabilité économique». Si l’on s’en réfère aux critères de convergence du traité de Maastricht, stipulant respectivement pour le déficit et la dette publique, un seuil de 3 et 60% du PIB, il est vrai que la France est bien en peine. D’après les chiffres de viepublique.fr, au 1er avril 2025, la dette publique française représentait 114%, contre 60% en 2000. Le déficit public n’avait cessé de baisser depuis la crise des subprimes en 2009, allant jusqu’à atteindre 2,3% en 2018, avant d’exploser à 9% en 2020 avec les confinements.
En 2024, avec 6% de déficit public, la France est le troisième plus mauvais élève de l’Union Européenne, après la Roumanie et la Pologne. Pire encore, contrairement à ses voisins, de l’Espagne à la Belgique en passant par l’Italie, l’Allemagne et le Portugal, l’Hexagone est le seul à ne pas avoir réussi à infléchir son déficit depuis deux ans. Craignant une hausse à 7%, le PLF 2025 mise sur 60 milliards d’efforts budgétaires pour ramener le déficit à 5%. Cette économie se divise entre 40 milliards de réduction des budgets, et 20 milliards provenant notamment de nouvelles taxations et impôts.
Commençons par ce volet “recettes”, pour lequel le PLF propose notamment trois axes. L’article 3 instaure la Contribution Différentielle sur les Hauts Revenus (CDHR) permettant de dégager 1.871 milliards des 65 000 foyers fiscaux les plus fortunés. Quant à l’article 11, il prévoit une économie de 7.8 milliards grâce à une contribution sur les bénéfices des entreprises, augmentant le plafond de l'impôt sur les sociétés à 20.6 % et 41.2% pour celles dont le chiffre d'affaires dépasse 1 puis 3 milliards d’euros.
Si ces annonces semblent se situer en contrepoint de la politique fiscale de ces sept dernières années, notons que ces deux impôts sont officiellement identifiés comme «exceptionnels et temporaires» par le PLF 2025, et devraient disparaître d’ici 2027-2028.
Une troisième source de recettes est prévue dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) : la diminution des cotisations patronales sur les bas salaires, notamment ceux des apprenti.es. À la clé, 1.6 milliards supplémentaires… Et un risque de cercle vicieux, dans lequel les employé.es restent piégés dans des rémunérations faibles au profit de charges allégées pour leur patron. La précarisation des bas salaires s’inscrit dans un projet plus large de désaffection du budget envers les populations fragiles, qui trouve son acmé dans la cure de 40 milliards du volet “dépenses”.
Le social comme éternelle variable d’ajustement
Parmi les secteurs les plus affectés par ce PLF 2025, on retrouve l’Aide Publique au Développement, qui perd 2.1 milliards, soit 37% de ses ressources. C’est une chute historique, plongeant les acteurs de la solidarité internationale dans une situation d’extrême tension, au moment même où les USA retirent les financements de l’USAID. Sur ce sujet en particulier, je vous renvoie vers l'excellente analyse de CoordinationSud.
Un autre poste d’économie majeure du PLF est l'Écologie, qui perd également 2.1 milliards, signale le média Reporterre. Il s’agit d’une amputation majeure pour l’activité de l’ESS «très mobilisée dans les filières dites « d’avenir », qui sont en première ligne dans la perspective d’une transition écologique», rappelait la députée LFI Alma Dufour lors de son exposé en vue d’amender le PLF 2025.
La mission Travail Emploi se voit affectée d’une baisse de 3.9 milliards, soit une réduction de 16.8%. À ce titre, l’UDES2 s’inquiète « du risque d’un choc social et d’une crise économique d’ampleur à partir du second semestre 2025 et du premier semestre 2026.» Parmi les dispositifs touchés, le syndicat cite la fin des emplois francs, une forte diminution des crédits alloués aux Parcours emploi compétences (Pec), particulièrement présents dans l’ESS, une baisse significative des contrats aidés, l'abandon de 5 000 postes d’adultes-relais.
Tandis que le premier rapport demandait 5 milliards aux collectivités locales, la pression des élus avait contraint le Sénat à ramener ce montant à 2 milliards. Pourtant, d’après l’Agence France Locale et Intercommunalités.fr, la version définitive du PLF maintient une facture autour de 5.5 milliards pour les collectivités - la Banque des Territoires allant même jusqu’à projeter plus de 7 milliards de coupes. Soit 14% des 60 milliards d’euros d'économie prévus par le PLF 2025, et 20% de l’effort structurel total.
Une grande partie des structures de l’ESS étant dépendante de ces dotations, ce nouveau budget menace l’existence même de nombreux acteurs et services partenaires de l’action sociale, de l’insertion et de la vie associative à destination des populations les plus fragiles.
Le budget de l’ESS : « une humiliation »
Le jour du dépôt du PLF 2025, les acteurs du monde de l’ESS sont réunis pour une conférence de presse. Pour le délégué général d’ESS France, Antoine Détourné « cette annonce est une humiliation », « un immense retour en arrière », regrette-t-il. Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, représentant national des associations françaises, parle quant à elle de « carnage » et d’un signal « hallucinant, voire insultant ».
Avec le PLF 2025, le budget réservé au développement de l’ESS passe de 19 à 14 millions d’euros. Déjà structurellement sous-financé3, voilà l’ESS amputé de 5 millions d’euros, soit 25 % de ses ressources. Celles-ci sont essentiellement allouées aux aides à l’emploi que sont le dispositif local d’accompagnement (DLA) et les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Dans un communiqué datant du 11 octobre 2024, Benoît Hamon4 mettait en garde Bercy contre «un effet de levier social, économique, territorial et démocratique dangereux.» Ces coupes s’inscrivent dans une politique plus large de baisse des subventions et financements publics dédiés aux associations, note France Générosité, qui estime une baisse de 41% entre 2005 et 2020.
À l’automne, estimant que le budget proposé par le gouvernement impacterait l’ESS à hauteur de 8.26 milliards d’euros, l’UDES redoutait un plan social mettant 186.000 emplois en danger. Le syndicat estime aujourd’hui ce chiffre à 400.000. Leur disparition aurait, selon son président David Cluzeau, «des conséquences humaines, sociales et territoriales dramatiques, notamment pour les personnes âgées, les enfants et les plus fragiles».
Les effets de ces baisses de financement sont déjà observables. En mars 2025, l’Observatoire Régional de la Vie Associative (ORVA) a mené une enquête auprès de 5557 dirigeants associatifs afin d’évaluer la résilience du secteur. En voici les conclusions : près d’un tiers des associations employeuses disposent d'une trésorerie inférieure à trois mois, et 69 % estiment leurs fonds propres fragiles ou inexistants.
La moitié des renouvellements de subventions n’ont pas encore abouti, et 45% des subventions attribuées sont en baisse - dont 20% en forte baisse. Dans plusieurs régions comme les Pays de la Loire, la PACA et l’Auvergne-Rhône-Alpes, le dialogue est insatisfaisant ou nul. Enfin, seul un quart des associations excluent, pour l’instant, toute réduction de leur masse salariale.
Le secteur de l’ESS apparaît donc bel et bien comme la première victime de ce PLF 2025. Sapée d’un quart de son budget, diminuée par les restrictions sur le secteur de l’emploi, mais surtout accablée par les coupes des dotations territoriales, elle devrait voir sa masse salariale et son activité réduites, au détriment des personnes les plus vulnérables auprès de qui elle agit quotidiennement. Sans une rehausse de son budget dès 2026, elle n’aura pas d’autre choix que de se tourner vers d’autres sources de financement.
1Les chiffres relatifs au PLF ont été collectés grâce au journal Le Monde
2L’Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire rassemble 80% des employeurs fédérés de l’économie sociale et solidaire.
3Les besoins de financement qui ne sont pas couverts sur le marché ont été estimés à 6,7 milliards d’euros pour la période de programmation 2021-2027 ESS France
4Benoît Hamon est le président d'ESS France, qui fédère les organisations nationales et contribue à développer l’ESS aux échelles nationales, européennes et internationales.