Je n'aime pas le terme "éco-anxiété". Je ne suis pas anxieuse, c'est bien plus que ça. Je suis paniquée, déprimée, défaitiste. C'est un vide en moi que je ressens régulièrement. Parfois, mais rarement, j'ai une bouffé d'espoir, je me dis qu'on va y arriver. Mais ça ne dure jamais très longtemps. Après, j'entends que tel pays a fait ça, que tel ministre a fait ci et je désespère de nouveau.
J'ai 21 ans, bientôt 22, j'ai eu ma licence au mois de juin dernier, je suis censée continuer mes études mais comment trouver sa voie, comment trouver quel métier on voudrait faire quand on est incapable de se projeter, d'imaginer un futur ? C'est impossible. Je n’arrive pas à imaginer le futur. Je pense que c'est parce que, inconsciemment ou consciemment je ne sais pas, je ne veux pas m'imaginer le monde tel qu'il sera si nous continuons sur cette lancée car il sera horrible et je ne veux pas vivre dans ce monde-là. Alors je me protège sans doute en bloquant mon imagination pour ne pas que je tombe en réelle dépression.
Je suis souvent très défaitiste (ou réaliste ?) car je me dis que pour y arriver nous devons changer radicalement notre société, notre système. Et comment faire ça ? J'ai envie de dire que c'est impossible et qu’on n’y arrivera jamais. Moi j'y suis prête et je veux tellement que notre société évolue radicalement mais c'est tellement long et je crois que c'est impossible pour tellement de gens de changer leur mode de vie.
Je me demande souvent ce qu'il se passe dans la tête des gens, pas ceux qui sont aussi "éco anxieux" ou plutôt "éco paniqués", mais plutôt de ceux qui continuent à vivre comme si de rien n'était, comme si on n'était pas en train de détruire notre monde et l'espèce humaine. À quoi pensent-ils ? Est ce qu'ils pensent vraiment que "ça va aller" ? Est-ce qu'ils se persuadent qu'on va trouver des solutions pour se protéger et garder notre petit confort ? Est ce qu'ils y croient vraiment ? Et comment est-ce possible d'y croire encore aujourd'hui ? Et pire encore : qu'est-ce qu'il y a dans la tête des grands dirigeants d'entreprises destructrices de toute vie sur Terre ? Que pensent vraiment ceux travaillant dans les lobbies du plastique, des pesticides, du pétrole ? Est-ce qu'ils croient vraiment ce qu'ils disent ? Si oui, comment est-ce possible ? Si non, comment peuvent-ils faire ça et vivre comme si de rien n'était ?
Et souvent, tellement souvent, je regrette de ne pas être comme eux, de ne pas culpabiliser chaque fois que j'achète quelque chose, que je prends la voiture ou que je mange de la viande. Je voudrais pouvoir vivre sans cette bombe au-dessus de la tête, sans cette angoisse et panique quasi permanente. Je voudrais juste vivre. Mais je sais que c'est moi qui ai raison, qu’heureusement j'ai conscience de tout ça, et même si je passe plus de temps à culpabiliser, j'arrive parfois à être fière de moi et des efforts que je fais. Mais c'est difficile, très difficile.
C'est difficile de garder espoir quand on a perdu foi en l'humanité. Je suis jeune mais j'ai vu la différence, j'ai vu le changement dans la société et cette prise de conscience du respect de l'environnement et du dérèglement climatique. Alors j'ai eu espoir, je me suis dit que maintenant c'était bon, tout le monde, ou presque, le savait, on ne pouvait plus l'ignorer et nous allions donc agir. Mais non. Rien ou presque. Que des demi-mesures (ou dixièmes, centièmes de mesures). J'ai eu tellement d'espoir mais j'ai très vite déchanté. L'humanité m'a profondément déçue.
Alors que dois-je faire ? Je me pose cette question des dizaines de fois par jour. J'ai l'impression que j'ai deux choix. Je peux aller vivre dans le fin fond de la campagne, dans une yourte, dans un écovillage en essayant de vivre le plus possible en autonomie et de la manière la plus écologique possible. Mais laisser le monde partir en vrille et moi vivre ma vie écolo comme si de rien n'était ? Je trouve ça égoïste. Et puis même si je sais que ce serait utile et qu'il faut adopter le mode de vie le plus respectueux pour la planète et tous ses habitants, ce ne sera jamais suffisant si la société dans son ensemble n'évolue pas radicalement. Le fameux colibri et sa goutte d'eau sont bien gentils et sont importants mais, de mon point de vue, pas suffisants. Alors l'autre choix serait d'essayer de "faire bouger les choses". Apparemment ça a toujours été à la mode chez les jeunes et j'avoue que c'est tentant. Mais comment ? J'ai l'impression que c'est perdu d'avance et que ce chemin ne me mènera qu'à de nouvelles désillusions face à l'inertie de notre système.
Alors comme je ne n'ai toujours pas trouvé de solution qui me conviendrait, je continue à angoisser, non seulement sur l'avenir en général de notre monde, mais aussi sur le mien.