L’actualité nous apporte son lot de désillusions, voire de dégoût, envers le comportement de certains personnages, qu’ils soient élus, ou dirigent des organismes privés ou publics. Elle nous offre de surcroît un chœur de hurlements désapprobateurs ou effarouchés, qui ne font progresser en rien la situation et laissent penser que la classe politique, avec notamment le mensonge de Jérôme Cahuzac, régresse en termes de moralité.
Or, le virus qui zone dans le milieu politique apparaît plus nettement aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, où les mêmes méfaits étaient dissimulés. Internet est passé par là, en plus de la levée de certains interdits, y compris d’ordre fiscal.
Ne dramatisons pas et rallions-nous à l’opinion de politologues réputés, comme Roland Cayrol : le sens des valeurs n’est pas qu’une façade ! La révolte des citoyens devant des actes de corruption, de fraude, de prise illégale d’intérêts, ou de délit d’initié s’affirme au prix de sa prise en compte indispensable par les élus et les pouvoirs publics.
La moralisation devient une exigence de plus en plus partagée.
Sur le terrain de la morale, on croise … l’éthique
L’éthique se définit comme un potentiel global de réflexion, qui nous permet de prendre une décision ou d’adopter un comportement le mieux adapté et approprié aux différents contextes auxquels nous sommes confrontés. Il s’agit d’une qualité individuelle qui consiste en la mise en œuvre de vertus, mais qui, par son exemplarité, peut amener tout un groupe à agir de même.
Cette capacité résulte de l’enseignement reçu par l’éducation, nos parents, les milieux culturels rencontrés, les personnes respectées. Une fois digéré, cet enseignement développe en nous tout un arsenal de vertus : l’intégrité, l’honnêteté, le respect, la responsabilité, le courage, la solidarité …, qui s’expriment alors en des comportements éthiques.
Cet enseignement, un flux entrant, s’apparente à ce qui est communément appelé morale. Il se rapporte à un référentiel, variable selon les époques et les cultures, une sorte de guide de bonnes pratiques dans sa version édulcorée, mais que les pouvoirs politiques ou religieux ont de tous temps cherché à codifier sous forme de textes réglementaires.
A l’inverse, l’éthique est une expression, un flux sortant, dont le référentiel est intrinsèque à celui qui s’exprime et n’est pas immuable, en ce qu’il s’enrichit en permanence, grâce à nos expériences de vie, car l’éthique n’est pas innée.
Eloignez cette conformité que je ne saurais voir !
En toute circonstance, il convient de se poser la question éthique essentielle, voire existentielle : Dois-je adopter un comportement conforme aux textes et aux règlements, ou vaut-il mieux que je respecte les autres, dans leurs idées et dans leur personne ?
Prétendre mettre en place l’éthique par la contrainte de la loi ne conduit qu’à la conformité, théoriquement garantie par des instances judiciaires, mais qui ne repose en fait le plus souvent que sur du déclaratif … ou sur le fameux Pas vu, pas pris !
Nous n’en voulons pour preuve que le dispositif des déclarations d’intérêts, dont l’actualité nous montre à quel point il peut être trompeur : un mensonge par omission reste tout à fait possible si la bonne question n’a pas été posée.
Les conflits d’intérêts sont consubstantiels à qui n’est pas éthique. Vouloir les réguler par les textes, c’est par exemple croire que tous les récipiendaires d’une décoration la méritent, ou bien que ceux qui les accordent n’y voient aucune manœuvre de réciprocité.
Il ne s’agit pas de remettre en cause l’impartialité des juges, mais celle des divers codes dont nous savons bien qu’ils ont des trous dans la raquette, à tel point que c’est la jurisprudence – c’est-à-dire, l’éthique de certains juges exemplaires – qui devient la référence en matière de décision, une forme de tolérance face à l’application des textes à la lettre.
A l’extrême, parler de Tous pourris, ou évoquer une Loi d’amnistie est hors sujet.
La France est très en retard
C’est au Canada que la prévention des conflits d’intérêts est la mieux organisée, avec une loi qui date de 2006 et la mise en place d’un Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique, doté d’un pouvoir de contrôle et de saisine.
Les auditions réalisées aux Etats-Unis ont le mérite d’exister et d’être rendues publiques. De même, la notion de parjure y est sévèrement réprimée. Mais si elles n’ont rien à voir avec les entretiens confraternels et polis de nos élus, ces investigations portent souvent sur les convictions politiques des candidats, rarement sur leur probité, encore moins leur éthique.
Le principe de la déclaration d’intérêts, dont nous avons souligné l’insuffisance en l’absence d’un véritable contrôle et de transparence, existe depuis 1986 en Suède ! La France est, avec la Slovénie, le seul pays de l’Union Européenne à ne pas rendre publics ces documents.
Mais au-delà des différences culturelles, notamment entre pays scandinaves et latins, ne confondons pas ces mesures avec la lutte contre la corruption, ou le financement des partis politiques, pour lesquels le flou reste patent. Et ne pas oublier non plus la protection des lanceurs d’alerte, qui ne saurait se limiter aux organes de presse.
Alors, quelle solution ? Un entretien d’embauche pour les ministres
Selon nous, la meilleure solution serait de ne confier des responsabilités qu’à des personnes dont on a préalablement mesuré l’éthique et de ne pas se fier à un semblant d’enquête de patrimoine, parfois uniquement étayée par une déclaration sur l’honneur !
De la même manière qu’une enquête est diligentée pour être embauché au Commissariat à l’Energie Atomique, ou pour être admis au sein d’un atelier maçonnique, sans que personne n’y trouve à redire, tout postulant à une fonction de responsabilité devrait faire l’objet d’un examen objectif et indépendant permettant d’évaluer son éthique.
Cela peut se faire de différentes manières, mais le principe à retenir consisterait à confronter déclarations sollicitées et spontanées et à effectuer des contrôles factuels visant la véracité des éléments de revenus, des diplômes, des risques de conflits d’intérêt,…
Si l’on souhaite mieux prévenir les risques économiques et politiques liés au comportement de nos responsables, les enquêtes fiscales, professionnelles, juridiques, ou de patrimoine sont certes à approfondir. Les instruments sont disponibles dans la boîte à outils.
Mais ces démarches doivent se compléter par une véritable évaluation personnelle. Il ne s’agit pas de reproduire les tests de logique ou les analyses graphologiques des cabinets de recrutement, mais bien de confronter les candidats avec leurs réflexes éthiques propres.
Un contrôle permanent … et des contre-pouvoirs en piste !
Inscrire dans la loi les situations incompatibles avec l’exercice d’une fonction officielle est, nous l’avons vu nécessaire, mais insuffisant. D’autant plus que la mentalité française, latine, est plutôt encline à considérer que tout ce qui n’est pas interdit est donc autorisé. Or, dans le domaine du comportement, il est par nature impossible d’être exhaustif.
Ne pas laisser un personnage arguer d’un diplôme qu’il n’a pas (Dati), ou qu’il a obtenu en passant par la porte de derrière (DSK), ou en usurpant le travail d’un autre ne doit pas être toléré. En Allemagne, plusieurs démissions récentes ont fait la une des journaux. En France, telle vedette médiatique qui a commis un livre en copier/coller n’a rien d’autre à craindre que les petits couacs du Canard Enchaîné…
C’était jusqu’il y a peu la situation de Mediapart, traîné dans la boue par une grande partie de ses confrères, mais qui est sorti par le haut d’une position que ni les prébendes, ni les communicants n’avaient la moindre chance d’éliminer.
Cela ne nous rendra pas parfaits, mais le fait de marcher sur une voie éthique, c’est-à-dire de progrès durable, permettra d’être plus majeurs.
Isabelle Deflandre et Pierre Boningre