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Billet de blog 22 juillet 2024

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La réforme italienne du Premierato : comme un avant-goût du Rassemblement national

L'Italie de Georgia Meloni, sa récente réforme du premierato ou son ingérence dans la RAI - Radiotelevisione italiana - font office d'avertissement de ce que donnerait une présidence du Rassemblement national : le travail d’une termite patiente et déterminée visant à éroder la règle de droit.

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Les élections législatives de juin ont été le théâtre d’un choc de réalité : un possible exercice du pouvoir par le Rassemblement national. Le maintien du cordon républicain aura permis de contenir ce risque mais rien ne garantit ce résultat aux prochaines élections présidentielles de 2027 ou à plus brèves échéances lors d’une nouvelle dissolution. Il y a matière à s’inquiéter puisqu’au-delà de ses mesures xénophobes, ce parti revendique, très clairement, un mépris pour la règle de droit et nos contrepouvoirs. Pierre Gentillet, pourtant avocat et candidat RN perdant aux dernières élections, parlait de cette ambition de mettre à bas le droit au profit de leur volonté politique puisqu’à ces yeux « si demain nous voulons nous affranchir de certaines normes qui nous empoisonnent et bien, à la condition de mettre au pas le Conseil constitutionnel, nous pourrons tout faire » (interview BFM du 13 juin 2024). 

Au travers de cette intention, l’ambition du Rassemblement national est donc d’entreprendre un travail de sape progressif pouvant s’apparenter à celui d’une termite patiente et déterminée visant à émousser voire à briser les contrepouvoirs que sont le Conseil constitutionnel, l’audiovisuel public ou encore le mode de scrutin législatif. En apparence, elles pourraient demeurer mais seraient réduits à une coquille vide, incapable d’exercer en réalité leur rôle. Ce modèle d’affaiblissement démocratique dont on a pu voir l’application en Hongrie et en Pologne est aujourd’hui à l’œuvre en Europe de l’Ouest dans un des États fondateurs de l’Union européenne.

L’Italie fait figure d’expérience, la plus récente et la plus similaire à notre culture politique, de la politique d’érosion de la règle de droit et de ses contrepouvoirs puisque une stratégie de la termite est mise en œuvre par le Gouvernement dirigé par Georgia Meloni.

Enserrée, depuis son élection, dans un système politique conçu en rupture avec le fascisme, elle tente de le remettre en cause avec sa réforme dit du premierato. Arguant, comme le Rassemblement national, du poison de l’instabilité parlementaire, cette réforme ressemble étrangement à celle de 1923, voulue par Mussolini, dite « loi Acerbo » qui prévoyait le fait majoritaire, un gain des 2/3 de l’Assemblée, pour le parti remportant aux élections au moins 25% des suffrages exprimés.

Dans sa version de 2024, le parti politique majoritaire aurait l’assurance de remporter 55% de l’assemblée alors même qu’il ne réunirait que 20% des suffrages exprimés. Cette réforme s’accompagnerait d’une élection au suffrage universel direct du Premier Ministre pour 5 ans. Le diable se cache ici dans les détails puisque la figure de Premier Ministre de chaque parti serait choisie avant même l’élection et en cas de vote de défiance, le parti majoritaire pourrait alors choisir une nouvelle personnalité avant cette fois une dissolution, en cas de nouveau vote de défiance.

Par cette réforme, Georgia Meloni rendrait difficile l’existence d’un renouvellement démocratique et des oppositions et cimenterait, en retour, l’emprise du parti majoritaire. Ce projet d’emprise sur l’Assemblée n’est pas étranger au programme revendiqué par Marine Le Pen. Lors de la campagne présidentielle de 2022, celle-ci portait une réforme du scrutin à la proportionnel avec un fait majoritaire permettant au parti vainqueur de bénéficier d’une attribution automatique d’un tiers des sièges de l’Assemblée nationale. En exerçant une telle règle, le contre-pouvoir de l’Assemblée, déjà réduit au minimum par l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, serait ramené au rôle d’une simple Chambre d’enregistrement.

Cette stratégie de la termite pourrait également être observée dans la gestion future de l’audiovisuel public. Bien qu’ayant annoncé vouloir privatiser entièrement l’audiovisuel public, le Rassemblement national pourrait ne pas pouvoir mener ce funeste projet en raison des principes constitutionnels de liberté de communication des pensées et des opinions ainsi que l'indépendance et le pluralisme des médias (DC12 aout 2022, n°2022-842) dont le législateur ne peut porter atteinte à leur substance sauf à changer de Constitution…

A défaut de pouvoir démanteler l’audiovisuel public, il faut une nouvelle fois se tourner vers l’Italie pour y voir le grignotage progressif de toute velléité d’indépendance dans l’audiovisuel public. La RAI - Radiotelevisione italiana – bastion historique des intellectuels italiens et véritable contre-pouvoir depuis sa création en 1954, a été l’objet d’une métamorphose idéologique qui a tiré profit d’une réforme engagée en 2015 par Matteo Renzi. En changeant le mode de nomination des dirigeants de la RAI, désormais corrélé au poids respectif des différents partis politiques, cette loi a permis à l’actuel Gouvernement italien de remplacer progressivement ses dirigeants et un certain nombre de directeurs de programme jugés gênants au profit de proches de Georgia Meloni.

En France, même si la nomination du Président de Radio France et de celui de France Télévision sont dévolues à l’ARCOM et au CSA, la composition de ces autorités administratives indépendantes ne sont pas exemptes d’ingérence politique puisque le Président de la République avec les Présidents des deux Chambres y nomment la majorité des membres.

Disposant de la Présidence de la République et de la majorité à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national pourrait utiliser, en cas d’échec de son projet de privatisation, cette faille pour s’ingérer dans ce second contrepouvoir en y désignant des membres hostiles à la liberté d’informer et la liberté d’expression. Dans cette hypothèse, la jurisprudence administrative empêcherait alors tout contrôle sur ces décisions de nomination (Conseil d’Etat, 9 avril 1999, Madame Ba).

A l’appui de cette solution favorable, cette stratégie permettrait également de faire tomber le dernier obstacle constitutionnel qu’ils exècrent et qu’ils jurent de mettre à bas en s’inspirant cette fois de Donald Trump qui a noyauté le cœur de la démocratie américaine en y nommant des juges ultra-conservateurs à la Cour suprême.

Le renouvellement du Conseil constitutionnel se fait, en effet, par tiers tous les trois ans et la charge de la nomination est répartie entre les Présidents des deux Chambres parlementaires et le Président de la République. Le caractère arbitraire de ces nominations est aujourd’hui déjà largement soulevé tout comme l’inefficacité du veto parlementaire qui est conditionné à la réunion de trois-cinquième des membres des commissions des lois. Exploitant une nouvelle fois cette faille, il est à craindre de voir rejoindre la rue de Montpensier des personnalités controversées aux idées rétrogrades sur les droits et les libertés individuelles et avec pour corollaire la disparition des droits fondateurs de notre République.

Face à cette stratégie de la termite aujourd’hui à l’œuvre en Italie, il y a urgence, pour les forces politiques républicaines, de réagir afin d’empêcher ou à tout le moins de freiner l’emprise, désormais possible, du Rassemblement national sur les contre-pouvoirs qui garantissent l’équilibre démocratique en France. Des pistes de réformes doivent donc être sérieusement envisagées, de la plus ambitieuse à la plus résiduelle :

  • Dans l’hypothèse d’un consensus large, une réforme constitutionnelle pourrait être mise en œuvre afin de renforcer le Conseil constitutionnel sur le modèle de la Cour de Karlsruhe. En Allemagne, c’est le Parlement qui propose au Président des candidats avant que celui-ci n’ait le dernier mot.

Pourquoi ne pas reprendre cette idée en imposant que le Parlement conçoive en commission la liste des futurs membres du Conseil constitutionnel à la majorité des deux tiers avant de les soumettre pour choix au Président de la République ? En plus de favoriser un large débat démocratique sur ces nominations, cela permettrait un véritable contrôle de leurs compétences.

En ce qui concerne l’audiovisuel public, les nominations des membres du CSA et de l’ARCOM pourraient être dépolitisée en laissant le Conseil économique, social et environnemental (CESE) exercer les nominations normalement dévolues aux Présidents des deux Chambres et au Président de la République ;

  • Dans l’hypothèse d’un consensus restreint, il serait possible au futur gouvernement de mettre en place une institution de recommandation pour les membres du Conseil constitutionnel ainsi qu’un registre d’intérêt et des candidatures afin qu’il existe une transparence sur ces nominations. Dans l’audiovisuel public, le législateur pourrait prévoir une demande d’avis conforme des instances représentatives des journalistes au sein de Radio France et de France Télévision en modifiant l’article 47-4 la loi du 30 septembre 1986.

Près de trois ans avant l’élection présidentielle, les partis politiques du spectre républicain doivent donc avoir à cœur de protéger notre société démocratique face à l’inexorable montée de l’extrême-droite en France. L’expérience italienne et le spectacle donné par l’instabilité parlementaire doit appeler à la raison puisque « gouverner c’est prévoir ». Prévoir c’est ainsi étanchéifié les contrepouvoirs que sont le Conseil constitutionnel et l’audiovisuel public de toute pression politique ou tentative de déstabilisation qui pourraient venir tant de l’exécutif que du législatif. Faute d’agir à temps,  il ne peut être écarté que le Rassemblement national se mue en termite de nos institutions avec pour conséquence, à terme, l’effondrement de notre vie démocratique.

Pierre-Eugène Burghardt

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