Monsieur le Président de la République, messieurs les Hauts Fonctionnaires d’Etat,
Je travaille comme pédopsychiatre pour enfants et adolescents dans le Service Public Hospitalier. Nous ne sommes plus que 600 en France à faire ce travail. La relève n’est pas là. Le renforcement des équipes n’est pas au rendez-vous. Et, tel le réchauffement climatique qui semble inexorable, la disparition des services pour les enfants semble être l’objectif des gouvernements successifs.
Pourquoi ?
Depuis trente ans que je travaille, j’ai certes observé un effort pour financer des équipes de diagnostic de l’autisme. Autrefois nous prenions en charge ces enfants-là sans faire forcément le diagnostic, mais en considérant qu’ils avaient des symptômes graves et qu’il fallait les soigner.
Qui pour soigner maintenant ? Les centres de diagnostic, tels un scanner, ne soignent pas. Il se trouve qu’en pédopsychiatrie il faut du temps pour soigner. De plus chaque histoire clinique est unique et infiniment complexe, donc chaque soin est à réinventer dans une temporalité à déplier patiemment. Il nous faut donc du temps. Il nous faut de l’invention. Il nous faut des temps soignants. Le temps c’est la base du soin en (pédo)psychiatrie. Même nos services d’élite comme le service Denver au CHAI (Centre Hospitalier Alpes-Isère) dont Olivier Véran a fait la visite en 2021, en conviennent : après avoir été soignés de manière intensive et efficace quelques mois, ces enfants-là - s’ils sont laissés sans soins- perdent leur bonne santé psychique chèrement acquise.
C’est un formidable investissement sur l’avenir que de soigner des enfants, une manière radicale de faire reculer la dette, puisqu’ils ne seront pas des adultes à la charge de la collectivité de demain.
C’est bien la reconnaissance du rôle pilier de la pédopsychiatrie publique qui a permis au ministre de la santé, le Docteur Olivier Veran, neurologue, d’annoncer en 2021 un soutien des CMPE (Centre Médico-Psychologique pour Enfants) par la création de 800 postes soignants supplémentaires. En effet la sectorisation (chacun a un CMPE où s’adresser) demeure une innovation d’une audace et d’une pertinence inouïes. Ce sont de telles innovations qui mettaient la France en tête des pays qui prennent soin de la santé de leurs habitants : la bonne santé mentale des enfants porteurs d’avenir.
La France a perdu son rang.
La France ne sait plus soigner ses enfants et ses adolescents alors même que l’instrument pour ce faire est là, efficace, et validé par de nombreuses années d’expertise : la pédopsychiatrie publique où chacun peut s’adresser dans un centre proche de son domicile.
Pourquoi cette destruction ?
Nous attendons les 800 postes promis, ils ne seront pas suffisants, très loin s’en faut, mais ils éviteront déjà nombre de burn-out des soignants qui se sentiront affermis dans leur position de rester fidèles au CMPE malgré les nouvelles restrictions portées par l’ARS de ne faire que des soins courts de 4 mois maximum et de renvoyer au libéral (saturé lui aussi) les cas dits moins urgents. Un enfant autiste, n’est-il autiste que 4 mois ? Une adolescente violée sera-t-elle guérie en 4 mois ? Un enfant maltraité sera-t-il réparé en 4 mois ? Un ado du divorce n’est-il pas à recevoir en urgence ?
Comment un Président philosophe serait-il loin des questions de la temporalité pour soigner l’Humain ? Tel Edmund Husserl nous l’annonce à la veille de la Seconde guerre mondiale : « le positivisme, pour ainsi dire, décapite la philosophie. » Des hommes politiques portés par l’amour de la sagesse et du savoir ne peuvent pas détruire la temporalité et l’invention pour guérir. Ils ne peuvent pas tuer la bonne santé psychique de leurs enfants en détruisant les institutions qui les soignent.
N’est-ce pas ?
Pédopsy38
Praticien Hospitalier
Pédopsychiatre de CMPE en Isère