Écologie sociale : marée noire au large des côtes américaines du Golfe du Mexique – chapitre 3 : Barack Obama empêtré dans une situation embarrassante par le système politique américain

Le président Barack Obama en Louisiane le dimanche 2 mai 2010
La marée noire au large des côtes américaines du Golfe du Mexique illustre les carences américaines en écologie sociale. La cohabitation des hommes et de ses activités souvent destructrices (forage et industrie pétrolière, surpêche, …) et d’un écosystème riche et vulnérable montre ses limites. Dans ce dossier, 3 sujets ressortent :
-l’explosion de la plate-forme et les conséquences pour l’état de Louisiane et les autres états côtiers du Golfe du Mexique (Mississipi, Alabama, Floride)
-le rôle du britannique British Petroleum (BP) et de ses partenaires dans le Golfe du Mexique : lobbyisme et capitalisme financier ;
-la position inconfortable de l’administration Obama et son action : impact du système institutionnel américain et lobbyisme.
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Barack Obama empêtré dans une situation embarrassante par le système politique américain

"La Convention Nationale Démocrate n'était pas la seule convention où un afro-américain a prononcé des phrases des plus mémorables - "Fore, bébé, Fore" - Ancien gouverneur adjoint du Maryland, Michael Steele - Convention Nationale Républicaine - Ai-je fait exprès d'être drôle? Honnêtement? Je passais juste une audition pour le poste de Ministre américain de l'environnement de MacCain."
« Drill, baby, drill » (« Fore, bébé, fore ») : tel était le slogan scandé par les partisans de la candidate républicaine à la vice-présidence, Sarah Palin, lors de la dernière campagne présidentielle. Bien sûr, Barack Obama et son colistier Joe Biden étaient contre, mais tout était dans la nuance : les républicains voulaient développer l’exploitation pétrolière et gazière au maximum partout où c’était possible, tandis qu’Obama n’excluait pas de nouveaux forages s’inscrivant dans une politique énergétique globale.
Car le problème de fond demeure : les Etats-Unis restent marqués par les choix énergétiques qu’ils ont faits au cours des dernières décennies. Actuellement, le pétrole et le gaz fournissent 62,1% de la consommation énergétique américaine ; le charbon 22,4% ; et les énergies renouvelables, hydraulique inclus, seulement 6,7%. Et ce, alors que la démographie augmente les besoins du pays de 0,8% par an.
Dans ce cadre, Barack Obama a opté pour un rééquilibrage visant à réduire la part du charbon, plus nocive pour le réchauffement climatique, en faveur d’une relance des forages pétroliers offshore, et du nucléaire civil : les Etats-Unis sont déjà propriétaires du premier parc de centrales nucléaires du monde (104 réacteurs, 99GW), devant la France (59 réacteurs, 63 GW). Ce rééquilibrage a aussi l’avantage de permettre une réduction des importations de pétrole étranger, et donc une moins grande dépendance et une baisse du déficit commercial américain. En 2006, les Etats-Unis étaient encore de loin les premiers importateurs nets de pétrole du monde (12,7 milliards de barils), et les premiers consommateurs (19,4 milliards de barils). Les principaux producteurs et détenteurs de réserves étaient d’abord l’Arabie Saoudite, puis l’Iran, l’Irak et le Koweït, suivis du Venezuela, tous ces pays ayant nationalisé leurs producteurs pétroliers.
Les dures réalités des institutions américaines
Aux Etats-Unis, la chambre haute, le Sénat, est l’institution considérée comme la plus importante, et comme ayant le plus de pouvoir. Or le 19 janvier 2010, moins d’un mois après le vote en première lecture de la réforme de la santé, le parti démocrate perd un siège dans cette assemblée : celui, emblématique, du sénateur démocrate du Massachusetts Ted Kennedy, mort le 25 août 2009. Et là tout bascule : les démocrates, qui détenaient au Sénat exactement la majorité qualifiée – 60 sièges sur 100 avec l’apport de 2 indépendants – la perdent. Ce qui permet à la minorité républicaine d’envisager de faire de l’obstruction sur tout projet de loi de Barack Obama, notamment sur les 3 dossiers les plus lourds : la couverture médicale, la réforme financière et la lutte contre les gaz à effet de serre/contre le réchauffement climatique.

Parti démocrate (57) Parti républicain (41) Indépendant (2)
Dès lors, le président Obama cherche à obtenir l’appui d’un petit groupe de sénateurs républicains, sans que cela heurte frontalement sa propre politique, qui ne remet pas en question la reprise des forage pétroliers offshore.
Barack Obama lève le moratoire sur les forages offshore qui s’exerçait depuis plus de 20 ans
Le 31 mars 2010, Barack Obama décide de lever le moratoire sur les forages offshore qui s’exerçaient depuis plus de 20 ans. Cette mesure a mécontenté des démocrates, comme le président de la commission sur l’indépendance énergétique et le réchauffement climatique, Ed Markey, et les écologistes : Greenpeace, l’Alliance pour la protection climatique, et le Sierra Club, la plus grande association environnementale américaine (1,4 millions de membres). Mais Obama ne s’en soucie guère, après l’adoption le 24 décembre 2009 au Sénat en première lecture de sa réforme de la santé.

Le sénateur républicain pro-business Lindsay Graham et Barack Obama, janvier 2010.
D’autant que cette décision est une concession au sénateur républicain Lindsey Graham, responsable des questions énergétiques pour son groupe au Sénat, qui négocie au nom d’un groupe de sénateurs républicains pro-business un compromis susceptible de donner au projet de loi sur le changement climatique une chance de réunir une majorité. Selon Le Monde daté du 2 avril 2010, le chef de la minorité républicaine au Sénat a reconnu dans la décision du 31 mars « un pas dans la bonne direction », et Lindsey Graham « a été encore plus laudatif ».
Une trop longue confiance en British Petroleum (BP)
Même si l’agence fédérale Minerals Management Service avait relevé plusieurs fuites importantes sur le gisement de la plate-forme Deepwater Horizon (BP) provoquant des pollutions marines de 2002 à 2005, un rapport optimiste lui avait été transmis par BP en 2009, qui n’avait déclenché aucune réaction de la part de l’agence. « Il est improbable qu’un accident de pollution pétrolière en surface ou en profondeur puisse se produire en raison de la distance des côtes et des procédures d’intervention rapides mises en place. » pouvait-on lire dans le rapport de BP.

"Agence fédérale Minerals Management Service - Honnêtement, bébé, tu n'es pas qu'une jolie fille de plus pour moi. Tu es aussi une bureaucrate qu'on corrompt facilement, avec une perspective de plusieurs milliards [de dollars] dans des concessions pétrolières - Toutes les cartes de crédit des principales compagnies pétrolières sont acceptées." (Ed Stein, 2008)
Le 2 avril 2010, 2 jours après la levée du moratoire vieux de plus de 20 ans sur les forages offshore aux Etats-Unis par le président Obama, celui-ci assurait que les plates-formes de forage étaient fiables :« Elles ne provoquent généralement pas de fuites. La technologie est très avancée. ».
Le jeudi 22 avril 2010, lorsque la plate-forme Deepwater Horizon coule, le président fait encore confiance à BP. Pendant une semaine, l’administration Obama laisse les coudées franches à BP, même quand le lundi 26 avril BP échoue à fermer les vannes de sécurité à l’aide de robots sous-marins des grandes profondeurs. Le président se contente d’envoyer trois membres de son cabinet sur place. Officiellement, l’administration présidentielle répète : « BP est responsable. BP paiera. ». Pendant ce temps, le pétrole léger échappé, autant que l’Exxon Valdez, évolue, devient plus lourd et se mélange à l’eau de mer pour former une émulsion beaucoup plus difficile à faire disparaître, la « mousse au chocolat ».
Au Sénat, l’attention n’est plus focalisée sur la couverture médicale ou le changement climatique : la nouvelle loi sur l’immigration est au centre des préoccupations. Cette nouvelle situation donne la possibilité au président Obama et aux démocrates de rebondir.
Jeudi 29 avril 2010, la ministre de l’intérieur déclare l’événement « catastrophe nationale »
Jeudi 29 avril, Janet Napolitano, ministre de l’intérieur, déclare la marée noire du au naufrage de la plate-forme Deepwater Horizon « catastrophe nationale » , et l’état d’urgence est déclaré en Louisiane. L’armée se prépare en vue d’une éventuelle intervention.
Le même jour, le sénateur démocrate de Floride Bill Nelson dépose un projet de loi interdisant la mise en œuvre du plan de forages offshore autorisé par la levée du moratoire sur ces forages le 31 mars. Dès le 23 mars, il faisait déjà partie d’un groupe de 10 élus des régions côtières et des Grands Lacs qui avaient alerté le Congrès sur les risques pour la pêche et le tourisme.

Le sénateur de Floride Bill Nelson, un proche de Barack Obama.
Par ailleurs, toujours le 29 avril, 3 sénateurs démocrates, Frank Lautenberg, à nouveau Bill Nelson et Robert Menendez, ont également déposé un projet de loi visant à relever le montant maximum d’indemnisation par les compagnies pétrolières de 75 millions à 10 milliards de dollars. La loi sur le montant maximum de 75 millions de dollars d’indemnisation avait été adoptée en 1990 après le naufrage de l’Exxon Valdez, en 1989, en Alaska : George Bush senior venait d’être élu président, après 8 années de pouvoir de Ronald Reagan.
Des positions contrastées face à la marée noire : écologistes et républicains
Pendant ce temps, les républicains sont fatalistes : pour eux, l’autonomie énergétique des Etats-Unis entraîne forcément des catastrophes qui ne peuvent être empêchées. Il y a presque trois semaines, 29 mineurs trouvaient la mort dans une mine de charbon en Virginie-Occidentale, mais « personne ne dit qu’il faut arrêter l’extraction du charbon. Depuis l’Exxon Valdez, il y a eu sept autres fuites de tankers encore plus graves. » a précisé le commentateur Gorge Will, sceptique sur le réchauffement climatique.
Les écologistes, eux, et la principale association environnementaliste en tête, le Sierra Club, espèrent au contraire voir Washington revenir sur sa position sur les forages offshore, surtout après le choc dans la population causé par l’ouragan Katrina en 2005.
Timide retour de Barack Obama sur la scène à partir du week-end dernier
Le dimanche 2 mai, les critiques commençant à monter, Barack Obama s’est rendu en Louisiane.
« Le président était sombre », écrit Le Monde. La visite fut modeste, empêchée par une très forte tempête.

Le président Obama à l'embouchure du Mississipi à Venice (Louisiane) le 2 mai 2010 (AFP Saul Loeb)
Lundi 3 mai 2010, Barack Obama, rentré à Washington, a eu une conférence téléphonique avec 51 maires de la région sinistrée pour faire le point.
Le ton est monté d’un cran : le porte-parole de la Maison Blanche, parallèlement aux initiatives des sénateurs américains, notamment sur le relèvement du plafond d’indemnisation des compagnies pétrolières, a assuré que l’administration « maintiendra le pied sur la gorge » de BP.
Le président Obama a envoyé les équipes SWAT (unités d’intervention) pour contrôler les 47 plates-formes du Golfe du Mexique. Et Carol Browner, responsable de l’environnement à la présidence, a mis en relief les nuances de la position d’Obama du 31 mars 2010 : le président a donné son accord à l’extension des zones agréées pour effectuer des forages, mais ce n’est que « le début d’un long processus », nécessitant l’avis d’experts et des consultations ; la marée noire « va certainement être prise en considération ».
« La proposition d’Obama d’autoriser de nouveaux forages en mer est morte » estimait le sénateur démocrate de Floride Bill Nelson après avoir déposé avec des collègues plusieurs projets de loi (relèvement du plafond d’indemnisation, interdiction du plan de levée du moratoire des forages offshore).
Le vendredi 7 mai 2010, BP annonçait sur son site que le dôme de confinement de près de 100 tonnes était arrivé sur place. Une fois déposé au fond de la mer, le dôme devra être connecté à un vaisseau en surface pour mesurer l’efficacité de la solution. Le puits de secours dont le forage a commencé dimanche 2 mai 2010 ne devrait être achevé que dans 3 mois selon BP !

Départ du bateau transportant le batardeau contenant le dôme de confinement le 5 mai 2010.
Pendant ce temps, le Sénat a commencé à planifier ses auditions. Le 12 mai, la Commission de l’Energie et du Commerce a prévu d’auditionner le patron de BP America, Lamar McKay, ainsi que celui de Transocean (production et sécurité de la plate-forme), Steven Newman, et de celui de Halliburton (cimentage des appareils de sondage), David Lesar.
F. Moulin - Sources : Le Monde, éditions datées du 2 avril, du 2 mai, du 4 mai et du 5 mai 2010. Wikipedia. Site www.bp.com. Site www.challenges.fr. Site www.liberation.fr.
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